Le roman de la comédie française ou l’étrange cas de Philippe Harel : le retour idiomatique du cinéaste à sa vieille franchise des Randonneurs attire immédiatement la sympathie, parce que c’est bien dans ce genre que le cinéaste tire le meilleur de sa verve modeste et discrètement radicale (se souvenir du chef-d’oeuvre Ghislain Lambert), et parce que les retrouvailles avec Poelvoorde, même en triste état, sont la promesse d’un événement mineur, peut-être, mais forcément jouissif. Le résultat, malgré les (multiples) baisses de régime et gags qui foirent – un art finalement beaucoup plus au point chez Harel que chez Baer ou les Robins des bois – est à la hauteur des espérances : parce qu’Harel est bien le seul à mettre en scène avec un tel naturel, un tel équilibre d’humilité et d’ironie, l’aujourd’hui de ce que certaines comédies françaises savaient si bien traiter dans les années 1980, la recherche de couleur dans le merdique, le ringard, le glauque, et ce sans jamais tomber dans le pathétique et en atteignant même, à force de ramer, une forme de fantaisie un peu hallucinée (ici le coup de la bande laissée en plan en pleine mer par le sous-fifre, inversion royale des rôles).

En nouveau riche roussi aux UV, Poelvoorde apparaît plus que jamais comme une béquille hypertrophiée, bloc d’aigreur et d’agressivité qui empêche à tout instant le film de sombrer dans le sympatoche attendu. Réduit en une suite de réflexes, comme repu de ses chevauchées, l’acteur n’est plus qu’un phénomène détraquant le système du film de groupe (les trouées de violence lorsqu’il tabasse son serviteur, les petites magouilles inquiétantes sur lesquelles le film bute durant tout son long) et trouve ici, comme dans Ghislain Lambert, matière à exprimer une irréductible faille entre sa présence irradiante, en tant que corps, et cette absence de plus en plus marquée aux récits dans lesquels il semble traîner comme une âme en peine. Dans son sillage, les autres excellent (Karin Viard forcément, mais aussi les incolores Géraldine Pailhas et Vincent Elbaz, parfait en endive sympatoche). Là est le mystère roublard du cinéma d’Harel, qui sous ses airs de faussaire, en faisant tournicoter son petit monde de manière un peu artificielle, parvient à un équilibre improbable entre comédie bon enfant saturée (la vision de Saint-Tropez à la Onteniente) et cauchemar naturaliste un peu groggy, au bord de l’extinction (le petit déjeuner gueule de bois sous un soleil blafard).