A Cannes où il était présenté en sélection officielle, le film de Damián Szifron marchait sur des œufs, ceux-là même qu’une partie de la critique s’apprêtait à lui lancer. Comédie, film à sketch, auteur ayant piqué la place de Lisandro Alonso, son compatriote argentin : trois raisons de snober sa projection en radotant d’aise sur les choix forcément douteux du sélectionneur Thierry Fremaux. Pendant ce temps-là, le public de festivaliers se tenait les côtes dans la grande salle Lumière.

Et, si le public n’a pas toujours raison, le rire si – en tout cas bien plus que les larmes. Bon ou mauvais, il peut vous cueillir à l’endroit où vous vous sentez indisposé, vous secouer dans le roulis incessant d’une moquerie jamais loin de virer au vinaigre, quitte à déverser des paquets de bile noire sur tous ses personnages.  C’est qu’en se plaçant dans les pas du Dino Risi de I Mostri, nul doute que Damián Szifron a voulu répéter le genre de hoquet comique qui régurgite le plat de nouilles bouillies au fond d’une société. Ici, l’Argentine de l’éternelle crise remplace l’Italie d’après guerre comme  cible de ce jeu de fléchettes. Les Argentins ont d’ailleurs fait au film un triomphe. Ils se sont retrouvés à travers ces sketchs où les haines recuites finissent par éclater au grand jour, où l’histoire remonte comme un paquet de linge sale jeté au visage du voisin, où les pauvres sont les valets de la lâcheté des riches, et l’Etat vous écrase poliment jusqu’à vous rendre cinglé.

Vu d’ici, certains verront dans ce précipité de faiblesses humaines un peu de zemmourisme électrocuté par le rire. Du populisme ricanant et servi froid par une mise en scène dessinée sur la planche de story board. Si un traité rigolard sur la misanthropie populaire produit par les châtelains de la Warner défrise forcément un peu, on leur donnera cependant tort. Non que le film soit réussi de bout en bout : Les nouveaux sauvages est loin d’atteindre les modèles qu’il se donne, l’efficacité de sa réalisation masquant trop souvent des faiblesses d’écriture. Pour un sketch réussi, deux autres qui s’effondrent, s’éternisent et se figent dans un rictus trop assuré de sa hauteur de vue.  Mais par endroits, le rire qu’il suscite emporte tout, les personnages comme les spectateurs, les nez pincés et les grossiers relâchements.

Ce rire, noir et trempé dans un grand bain d’absurde, finit par étreindre tous ses sombre héros de la veulerie ordinaire dans un geste satirique suffisamment tenu pour qu’on fasse crédit à son réalisateur d’être autre chose que le dernier petit malin à la mode.  Tenu – répétons-le – en ce qu’une idée simple traverse tout le film et lui donne sa forme, aussi bien dans ses récits que dans sa mise en scène : bons ou méchants, lâches ou courageux, victimes ou bourreaux, nous finirons précipités dans un grand bain de mort et d’amour. On vit dans la haine, on finit enlacés. Tout le film n’est alors que cela, sa manière élastique d’envisager ce qui sépare les êtres et finit pourtant par les recoller ensemble. Dans son sketch le plus réussi, il en opère même un saisissant précipité formel, transformant l’espace ouvert d’un désert en un huis-clos étouffant. Rien que pour ce brillant renversement des espaces, on guettera la filmographie à venir de cinéaste argentin qui fait tâche, mais le fait bien.