Marjane Satrapi mordue par les goules sexy de Twilight ? Le tchador expliqué aux enfants par Jim Jarmusch ? Il y a un peu de tout cela dans A Girl Walks Home Alone At Night. Pas vraiment film de fin d’études, plutôt caprice de trentenaires californiens retombés en adolescence, l’oeuvrette de l’Américano-Iranienne Ana Lily Amirpour (lauréate du prix de la Révélation Cartier à Deauville) cherche à mêler formalisme arty, féminisme de kermesse et popote référentielle : le revenge movie se laisse frictionner par le conte de vampires, lui-même épouillé par le western spaghetti. De cette alchimie résulte un de ces bibelots clinquants et apatrides (le film est tourné à Bakersfield, mais intégralement en langue iranienne) hélas très courants dans les festivals.

Difficile de savoir d’où provient la plus grande part de consternation. Sans doute faut-il chercher en premier lieu du côté de la dialectique revancharde du film, qui emprunte beaucoup à L’Ange de la vengeance d’Abel Ferrara, ou plutôt à sa redigestion par Tarantino. Dans un faubourg insituable du nom de Bad City (terrains vagues et friches industrielles nappés d’un coulis de noir et blanc aguicheur), une jolie vampire en tchador (attention, edgy) se venge du masculinisme ambiant en lacérant la chair des violeurs latents ou confirmés. Parabole évidente et puérile de la condition féminine en Iran : en affublant la vampirette d’un voile islamique, Amirpour fait de ce dernier un outil de séduction et un atour du monstrueux, longeant l’idée que le Mal est le fait des hommes, coupables d’avoir emprisonné les femmes dans ces noires draperies. En soi, cette représentation à peine digne d’un happening Femen pose moins problème que l’acharnement du film à frotter, vernir et faire reluire ses vignettes suaves (drague, crimes sensuels puis amour vrai trouvé autour d’un 45 tours de Bowie) à grand renforts d’expressionnisme baveux. L’omniprésence très cosmétique du stupre, du vampirisme glam et de l’imagerie post-punk traduit un désir de fantasmer une problématique sociale, faute d’avoir la moindre affinité réelle avec celle-ci. Ainsi l’usage incongru du farsi tient moins d’une démarche documentaire – retranscrire la voix, les codes d’une communauté – que d’une tentation exotique assez grotesque. Le fantasme est donc en lui-même très pantouflard, et semble façonné à partir d’une cinéphilie maigrelette plutôt que d’une rêverie intime.

Ce maniérisme buté trahit en somme l’incapacité du film à se penser autrement que comme variation d’écolier sur un thème déjà rebattu. Cas d’école d’une certaine production indie américaine, tristement fabriquée à partir de visions picorées chez les Européens ou chez les locaux estampillés « auteurs », selon une définition très étriquée du terme. On ne s’étonne pas que cette vision-là du cinéma reste vigoureuse, à l’heure où les modèles Wes Anderson et Coppola Jr. ont fini par rencontrer le grand public en outrant leurs petites poses maniérées. Au moins peut-on espérer raisonnablement que de cette oeuvre-là, à peine née et déjà sénile, il ne restera rien.