Au départ, un carton ironique met la puce à l’oreille : « toute ressemblance avec la réalité serait purement accidentelle », dit-il. Attention, faut-il comprendre, Les Amants passagers est un peu plus qu’un Y a-t-il un pilote dans l’avion ? sauce Movida, un peu plus qu’un break récréatif dans la carrière d’Almodovar. Ses vignettes chatoyantes, toujours riches de sous-entendus, portent effectivement une inquiétude directement politique : c’est la société espagnole qui est compressée dans ce 747 où la crise se rejoue par métaphores, filées tout le long par un Almodovar en gros sabots. Population clivée (classe éco en léthargie vs. première classe en pleine orgie sous mescaline), dysfonctionnement de l’appareil qui tourne en rond, déni généralisé de l’équipage : tout est très lisible dans cette carlingue qui restaure avec volontarisme la pétulance des années Movida, années bénies dont il s’agit implicitement de sonner le glas.

 

Mais la lisibilité du propos, en soi, pose moins problème que l’issue empruntée, consciemment ou non. Le comique est à chercher dans la réaction des passagers (qui sont autant de clichés) à l’annonce d’un crash probable : panique, paranoïa, flegme ou frénésie lubrique, tous finissant par communier dans une débauche d’énergie queer annoncée par une danse de stewards plus ou moins potelés. Chaque caricature dégénère en libérant ses micro-angoisses : le copilote oublie ses refoulements et vire de bord, l’ex-starlette érotique polarise tous les regards, le business man hétéro se pétrifie dans son sérieux. Au passage, Almodovar raille assez habilement leur comportement rétrograde, démontant l’illusion que les fellations intempestives et les rasades d‘agua de valencia suffiront à raviver l’euphorie hispanique des années 80. Mais, en route, il oublie une chose. C’est que le recroquevillement individualiste de chacun face au chaos (on pense moins à faire la paix qu’à trouver qui sucer, par désir d’épanouissement personnel plus que par générosité) est précisément le vice auquel il se laisse prendre lui, cinéaste. Ne trouvant in fine aucune solution farcesque (et, plus largement, cinématographique) au constat social ainsi dressé, il s’engonce dans ses propres marottes, projetant à l’intérieur de l’avion fou une rétrospective autosatisfaite de sa veine comique. Alors qu’avec La Piel que habito, il parvenait à sortir de lui-même sans trahir ses obsessions, Almodovar s’enfouit la tête dans le sable avec ses personnages, feignant comme eux de s’amuser dans un revival plaisant mais pâlichon des jours heureux de l’Espagne –  et de son cinéma.

 

Sans cette ambition métaphorique, on aurait plus facilement pardonné au film sa veine purement espiègle (et d’ailleurs la métaphore a très souvent alourdi les films d’Almodovar) : mais, occupé surtout à flatter son univers personnel, le projet satirique ici ne bouscule pas grand chose. Et fait passer le film à côté de son programme camp pour flirter avec son contraire : le trash version queer, ici porté sur des histoires de rectum-surprise, déraille à force de s’autoparodier, et finit par frôler la paillardise des Grosses têtes. Une seule et même raison à tout cela : l’autisme d’Almodovar qui, au lieu du feu de joie en altitude d’abord espéré, le condamne à tourner en rond dans la cabine de son inspiration.