Premier roman de l’écrivain chilien Luis Sepúlveda, Le Vieux qui lisait des romans d’amour a été l’un des grands succès littéraires du début des années 90. Sa traduction en 35 langues, son écologisme militant ne pouvaient que conduire inéluctablement à une adaptation à l’écran. Fallait-il pour autant que ce petit livre (au sens propre du terme, il fait à peine plus d’une centaine de pages) se transforme en cette épaisse coproduction internationale ?
Impossible de reprocher aux initiateurs du projet de ne pas s’être inspirés du texte qui dans ses premières pages parle de l’Amazonie comme d’une « forêt où toute frontière est une vue de l’esprit » ; à la production française s’adjoint une coproduction australo-hispano-néerlandaise, le réalisateur est néo-zélandais et l’acteur principal, Richard Dreyfuss, américain. Un film sans frontières mais surtout un conglomérat de nationalités diverses qui n’accouche que d’un « mondo-pudding » lourdement chargé de sens.

Situé dans « un monde au bout du monde » -quelques baraques en bois au bord d’un fleuve qui se sont réunies sous le nom oh combien ironique de « El Idilio »-, le livre est une dénonciation mélancolique de la destruction de la forêt amazonienne. Jamais grandiloquent, toujours juste, son auteur (il a vécu durant un certain temps dans la région parmi les Indiens Shuars) décrit avec une précision quasi documentaire, malgré quelques échappées oniriques, la perte de l’équilibre entre l’homme et la nature. Une femelle jaguar (mystère insondable de l’adaptation, dans l’oeuvre originale l’animal était un ocelot, race sans doute trop méconnue pour fédérer les divers marchés visés), rendue folle de douleur par la perte de ses petits tués par un chasseur blanc, s’attaque aux hommes. Plusieurs habitants d’El Idilio en sont victimes et le maire, un homme incompétent et corrompu, décide de monter un expédition pour l’abattre.

Etirant artificiellement une intrigue très ramassée à l’origine par l’ajout de personnages et de micro-histoires bien peu dignes d’intérêt, le film n’hésite pas à tomber dans une espèce de mysticisme ethnique de bon ton. Là où le texte se refusait à nourrir le mythe du bon sauvage, le film, au contraire, joue à fond la carte de l’innocence perdue. Parfois, on se croirait quasiment dans un clip de Sting au meilleur de sa forme militante ! Déjà peu convaincant, Le Vieux qui lisait des romans d’amour souffre de la performance appuyée et autosatisfaite de Richard Dreyfuss. Un pénible moment à passer que de le voir ânonner les passages de ces fameux romans d’amour du titre, passion tardive d’un homme cherchant à oublier la barbarie à travers des lectures de midinettes. Et si le dernier quart d’heure renoue partiellement avec la force du roman -l’homme et le fauve s’affrontent en un duel dont aucun d’eux ne sortira vainqueur-, difficile de l’apprécier puisque le doux clapotis de ce long fleuve d’ennui nous a déjà endormis.