Im Sang-Soo nous avait laissé pantois avec The President last bang, évocation énergisante d’un coup d’état avorté en 1979. Le cinéaste poursuit son droit d’inventaire national en revenant sur la vague répressive contre les militants socialistes menée par le gouvernement ayant succédé au dictateur Park en 1980. Le Vieux jardin suit une courbe ondulatoire entre passé et présent, sans jamais choisir. Il suit la reconstruction d’un étudiant embastillé durant vingt ans qui revient dans le village où l’a planqué jadis la femme qu’il aimait. Postulat classique qu’Im Sang-Soo explore méthodiquement. Chaque noeud psychologique, chaque trama y est disséqué par séquences, comme un rapport d’expertise animé qu’on feuillette évasivement.

La force de Président last bang résidait dans sa capacité à mêler l’imagerie traditionnelle du thriller politique avec un réalisme documentaire chirurgical et complet : exactitude des dialogues, des anecdotes, sorte de burlesque tragique et ultra tranchant. Le mélo du Vieux Jardin associé à l’épopée politique est un cocktail moins percutant parce qu’insensiblement plus académique. Par moments, Im Sang-Soo se refuserait presque à l’action pour en revenir au thème prédominant du film : une romance contrariée par l’Histoire, mais provoquée par elle-même, enjeu cruel mais au fond trop universel, presque banal. En même temps, le film ne frustre pas tant la mise en scène fait tout de même plus que s’astreindre à un programme. Pétillante d’intelligence, elle garantie des scènes de haut vol.

Pour preuve, le départ de Hyun-woo vers Séoul laissant sa maîtresse seule sous la pluie, déchirement aussi absurde qu’irrévocable où le moindre détail trivial ajoute à la nervosité de la séquence : pluie battante, impatience du chauffeur de bus, silence absolu du duo. Enfin, banalité apparente de la scène elle-même qui pèse sur l’action comme une chape de plomb, charriant une solitude, une déprime bouleversante. Car Le Vieux jardin est aussi un récit populaire sur la souffrance du peuple, son irrépressible uniformisation. Tel est le cas de Hyun-woo, victime ordinaire de la répression d’Etat (les médecins diagnostiquent son état post-prison comme « classique »), sujet conscient de son individualité bafouée, que le film choisit de fondre dans une masse urbaine en fin de film. Grande leçon que nous donne Im Sang-Soo : plus la douleur est partagée, moins elle est compréhensible pour soi-même.