Premier roman de Giosué Calaciura, écrivain déjà remarqué outre-Alpes, Malacarne se présente comme le monologue d’un petit truand maffieux (c’est ce que désigne l’expression palermitaine qui sert de titre) qui expose à son juge l’histoire de sa vie, avec la franchise la plus pure. Le lecteur comprend aisément la transparence de cette confession lorsqu’il réalise que le juge en question a lui-même été déjà éliminé par le « malacarne ». Résultat : une biographie archétypale, qui tient autant du grand guignol que de la fatalité, un cercle vicieux qui s’enroule de la rapine au meurtre, trafic de drogue, racket, campagne d’extermination, trahisons, vengeances et luttes incessantes pour le territoire, une spirale d’horreur qui absorbe le narrateur, un sale gosse revêtant avec une certaine naïveté les divers masques que la comédie macabre lui plaque successivement sur le visage, pauvre type, roitelet, prisonnier, boucher, esclave, et, de toutes manières, condamné à mort.

Tout cela est traduit dans un style impeccable, virtuose, baroque, intégrant tous ces paradoxes au sein-même de la forme. C’est une logorrhée précipitée comme un tourbillon infernal, exposant des massacres organisés comme une blague de potache qui aurait mal tourné. Se mêlent selon le même rythme implacable un humour très noir, un désespoir violent en filigrane, des aspects très poétiques et des dérapages surréalistes réguliers. Toutes proportions gardées, Malacarne est un anti-American Psycho : il ne s’agit pas du délire fantasmatique glacial d’un psychopathe mais, à l’inverse, du réel de carnaval sanglant d’un enfant paumé ; il est rare qu’on ait traité d’un tel sujet selon cette perspective, et de manière aussi convaincante.

Enfin, ce que nous dit aussi Malacarne, à travers les pérégrinations mafieuses de son personnage, c’est tout un pan de l’histoire de la Sicile, les liens étroits et ambigus qui relient le pouvoir officiel à ce pouvoir occulte, la corruption du système juridique qui ferme les yeux ou transforme les prisons en pauses tranquilles destinées à préparer de nouveaux coups. Il s’agit aussi d’un livre sur le Pouvoir, tout pouvoir possédant une dimension mafieuse ; les liens que cette maffia peut entretenir avec la politique internationale, mise en valeur ici par les tractations avec le pouvoir américain commanditant des assassinats à vocation géostratégique, sont tout à fait éloquents. Malacarne ? Un monologue paniqué et poétique qui met en abîme la spirale infernale du Pouvoir à travers une de ses figures la plus crue qu’est la maffia, un monologue qui ne s’adresse déjà plus à personne et dont l’auteur ne cesse de répéter « nous n’étions rien », comme si la conséquence de ces volontés de domination ne pouvait être que le néant. Un monologue envoûtant, drôle et terrible. Une superbe performance littéraire.