La première chose que l’on se dit après avoir vu le film de Patrice Chagnard c’est : « quand est-ce que j’y retourne ? ». En sortant de la salle de projection, le monde est fade, les immeubles parisiens désespérément gris et identiques, le ciel invisible. On ferme les yeux pour retenir, quelques secondes encore, ces images de lever de soleil dans la campagne ukrainienne, de boule orange derrière une haie d’arbre, ces images, aussi, de tempête de neige dans la nuit. Et l’on en vient à se remémorer l’ambiance du film, la chaleur des trois personnages, les conducteurs des camions du convoi, Amin, Papy et Jérôme, qui sont presque devenus des amis, pour la vie, que l’on ne pourra plus oublier et qui vous manquent la fin du générique venu.
Le convoi est un film extraordinaire. Une mise en images belle, discrète et poétique. Des personnages forts et meurtris à la fois. Une évocation de la question de l’engagement humanitaire incroyablement profonde. Car Patrice Chagnard a décidé de nous montrer la motivation de ceux qui partent en mission « de l’intérieur », au sens propre comme au figuré.
Effectivement, la caméra -elle accompagne un convoi de trois camions de l’association humanitaire Equilibre qui apporte de l’aide en Arménie- ne sort quasiment jamais des cabines. Les divers paysages traversés -Allemagne, Pologne, Ukraine, Russie (en pleine guerre de Tchétchénie) et Géorgie- ne sont montrés aux spectateurs qu’à travers le pare-brise, comme un regard subjectif des conducteurs. Parce que c’est leur perception que veut retranscrire Patrice Chagnard dans son film, pour mieux donner à comprendre la motivation des trois conducteurs. Progressivement, au cours du parcours, se dévoilent des lambeaux de destins brisés qui trouvent dans cet engagement, bien sûr, une valorisation personnelle ; mais surtout un véritable plaisir de vivre, en frôlant le danger à chaque instant.
Le film sort quatre ans après le tournage. Certes, le réalisateur ne voulait pas être pris dans l’actualité de la guerre en Tchétchénie, mais c’est aussi parce qu’aujourd’hui la sortie en salle d’un film documentaire est un combat de longue haleine. Il est heureux que ce film soit finalement projeté sur grand écran, c’est là qu’il pourra être apprécié à sa juste valeur. Lui qui n’a rien à envier à des films tels que Le Salaire de la peur d’Henri-Georges Clouzot, ou La Chevauchée fantastique de John Ford. Comme ces grands classiques, il a le don d’évoquer le danger invisible en en captant les signes sur les visages des voyageurs.