Un nouvel album de Pavement, ça s’attend avec autant d’impatience que de crainte -ça tombe bien, celui-ci s’intitule Terror twilight. Car si on sait que le groupe creuse depuis quelques années déjà un seul et même sillon, bien cohérent, les micro-écarts de trajectoire dont Pavement s’est fait une spécialité sont comme des failles sismiques. On a beau s’y attendre -s’y faire dans le pire des cas-, le sol finit toujours par se dérober, mais lorsque l’on se croit en territoire conquis. Le problème, c’est que leurs nombreux détracteurs -il y a des modes pour ce genre d’attitude- ne s’en sont pas encore aperçu…
Un album de Pavement, ce n’est pas quelque chose qui s’apprivoise si aisément. Comparez ça à une bonne siesta dans un hamac rempli de cactus. Forcément, on reste partagé, au début, entre plaisir attendu et sentiment de douleur et de répulsion. Heureusement, Pavement possède la pommade miracle avec des titres immédiatement assimilables et hautement jouissifs. Sur Terror twilight, il y a pour ça Spit on a stranger, Ann don’t cry ou …And carrot rope.

Et d’une, Spit on a stranger : une comptine carrément craquante pour commencer, une mélodie à se foutre direct par terre, et Malkmus qui miaule comme il sait si bien le faire -ça ne laisse pas les filles indifférentes-, minaude en poussant tranquillement vers les aigus -Whatever you feel / Whatever it takes / Whenever it’s real, whatever awaits me / Whatever you need… I see the sunshine in your eyes / I’ll try the things you’ll never try / I’ll be the one who leaves you high high-, le tout avec une goujaterie impressionnante. Et de deux, le slow Pavement, Ann don’t cry : éteignez la lumière, le morceau fait le reste, avec un aspect posé qui est presque une nouveauté pour Pavement -sans doute est-ce du à la maniaquerie de Nigel Godrich, producteur, vous le savez déjà, de Radiohead, et qui a su apprivoiser « Pavement the rock band » pour nous le restituer avec toutes ses aspérités, et une touche de classe. Et de trois, …And carrot rope, le single chez nous -aux States, c’est Spit on a stranger, mais rassurez-vous, les b-sides sont identiques-, un morceau pourtant atypique dans la « songology » de Pavement, mais que l’on adopte tout de suite. Un vrai morceau gag, mais fait avec tout le sérieux du monde, et c’est pour ça qu’il passe si bien. Quand d’autres groupes se contentent de rire de leur bonne blague, Pavement s’arrange pour en faire un hit imparable. Petite ligne de clavier toy, voix qui se répondent, guitares light et wah wah, une vraie petite histoire à siffloter sur le chemin de la plage, sauf qu’on n’aura jamais été aussi fier de siffloter.

Le reste ? Quels restes ! Un vrai festin de roi, fait de cerises sur le gâteau -attention aux noyaux tout de même-, pour un album qui ne souffre d’aucun creux ou baisses de régime, et qui surfe à l’aise sur le dos de la production pop actuelle : You’re a light -encore une mélodie à l’altitude Everest-, Major leagues -un classique de chez classique pour le groupe, mais ça fait tellement de bien, Speak, see, remember aux réminiscences jazz -harmonies/disharmonies-, Cream of gold qui sort l’artillerie avec une élégance rare. Avec Pavement, on n’a qu’une seule envie, c’est de s’installer confortablement dans la peur, de prendre des cactus à pleines mains en rigolant et de plonger dans les failles d’un groupe chiennement attachant, aux contradictions à ciel ouvert : You’re a nice guy and I hate you for that (Platform blues).