En attendant la sortie du nouveau Verhoeven (Elle avec Isabelle Huppert, prévu pour mai) on est en droit de se demander, devant L’Avenir, ce que peut bien être un Huppert movie. Sûrement un film qui pressent qu’on ne fait pas jouer l’actrice sans faire le ménage autour d’elle, sans lui organiser une cour de récréation où laisser libre cours à cette malice folle et géniale que cultive l’actrice depuis quelques films. Que l’on pense à Tip Top, Abus de faiblesse ou encore In Another Country, il y a chez Huppert quelque chose qui se joue entre le retour à l’enfance et un sado-masochisme rieur (la scène de « sexe » avec Samy Naceri dans Tip Top, ou encore le Breillat, et vu le scénario et le titre du film, gageons que le Verhoeven insistera sur cet aspect-là également). On salue donc l’intégration de l’ingrédient Huppert à l’intérieur de la machine molle qu’est le cinéma de Mia Hansen Love, qui trouve là un heureux contrepoison, une sorte d’exhausteur de goût à un univers qui commençait à frôler le coma à force de précaution et de délicatesse.

Nathalie, la cinquantaine, est prof de philo dans un lycée parisien, lorsqu’elle assiste impuissante à l’effondrement de ce qui faisait son monde : sa mère meurt, son mari la quitte, elle se faire virer de la boîte d’édition où elle tenait une collection d’ouvrages philosophiques. Dans cette première partie, la plus maîtrisée, MHL a ainsi la bonne idée de toujours retarder le moment de faire le portrait de son héroïne en femme brisée, pour s’occuper de dépeindre une femme trop occupée à courir partout et à dénombrer les dégâts qui s’enchaînent. Pour preuve, le montage hâchuré, expéditif, qui ne laisse ni le temps ni la place à Huppert de se morfondre, à peine le temps de s’y réfléchir que déjà un autre malheur arrive. La mollesse habituelle du style de MHL est ainsi contrebalancée et enfin mis en valeur par ce portrait de femme en forme de marathon catastrophique. En ce sens, le style de MHL trouve là une belle qualité de silence et une placidité qui coïncident avec la façon qu’elle a de ne jamais s’attarder à filmer l’irruption d’une quelconque violence : lorsque son mari annonce à Nathalie qu’il la quitte, elle le filme comme un rituel de cinéma français un peu fatigant pour son actrice et qu’on préfère interrompre une fois que l’essentiel en a été montré.

Pour le meilleur, L’Avenir creuse ainsi une forme d’aridité atone, qui finit par complètement se resserrer sur Huppert, une fois que celle-ci se trouve débarrassée de tout qui pouvait la définir : enfant, mari, mère. Ne reste plus alors que l’actrice esseulée, cogito féminin qui barbotte dans le plan et dans des paysages évidés : c’est la belle scène les pieds dans la vase, qui touche à la substance de ce qu’est le jeu d’actrice de Huppert, perdue dans le plan comme à l’intérieur d’un territoire mental qu’elle arpente en solitaire.

Mais la présence si puissante de Huppert finit par se retourner contre le film. Enfants, mari, amis, tous les personnages s’effondrent un à un au contact de l’actrice : la faute à la fadeur d’un casting et d’une écriture qui ne laissent aucune chance d’exister à ces personnages. Et puis, Eden nous l’avait déjà prouvé, MHL peine à filmer un groupe, un débat d’idées, une conversation ou une manifestation, bref, à faire le portrait d’un milieu sans tomber dans la caricature téléfilmesque. C’est pourtant l’autre sujet de son film, ce mode de vie bourgeois que Nathalie ne questionne plus et que lui reprochera son ancien élève devenu militant radical. Cet échec sera finalement fatal au film et on ne sauvera de L’Avenir que deux personnages, celui de Huppert et celui de sa mère, jouée par Edith Scob sans cesse alitée et en passe de frôler la démence. MHL insiste à plusieurs reprises sur cette position, le corps de femmes d’un certain âge, accablées de tristesse. Il n’en fallait peut-être pas plus à MHL, pour trouver le moyen de se secouer de son spleen délavé et de son échec à filmer des gens de son âge : le corps frêle et musculeux de Huppert, cette virilité de femme mûre et cette impression persistante qu’elle n’a plus besoin de personne pour jouer, ou du moins qu’elle peut se suffire d’un chat ou d’un bébé pour tout compagnon de jeu. L’Avenir, finalement, peine tellement à rivaliser avec son actrice qu’on finit par se demander qui des deux est la victime consentante de l’autre ; mais le film a ceci de beau qu’il semble avoir intégré cette défaite devant l’actrice à son programme.

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