Dissimulé à la presse et se refusant à la moindre avant-première, Les Visiteurs : La révolution avait de quoi susciter une certaine appréhension, confortée par une bande-annonce fadasse et une promenade promotionnelle sans fanfare. Au point qu’à l’arrivée, et malgré ses 900 salles, ce nouvel épisode donne presque l’impression de se présenter par une petite porte — celle, de plus en plus insignifiante, de la comédie populaire pour prime time, du rire franchouillard de 7 à 77 ans.

Aucune raison, donc, de tirer à boulet rouge sur cette ambulance  cahotante, inévitablement accrochée au fantasme d’un grand cinéma français familial placé sous la tutelle éternelle de Gérard Oury. Reste que ce n’est pas un hasard si Jean-Marie Poiré et Christian Clavier décident de clore leur saga anachronique en peine seconde guerre mondiale, sur la promesse très peu crédible d’une Grande Vadrouille en patois médiéval. Calé dans les ornières du maître, le film éclaircit ainsi son programme nostalgique, déjà sensible dans un sous-titre volontiers ironique – nulle « révolution » ici bien sûr, mais bien l’éternel retour du même.

Soit: le come-back de Jacquouille la Fripouille, dont la capacité à endosser la vulgarité de toutes les époques qu’il traverse lui permet de survivre à chaque épisode. Une question se pose: comment expliquer que, de tous les personnages, anciens comme nouveaux, il soit bien le seul qui parvienne – souvent pour le pire – à tirer son épingle du jeu ? C’est que l’acteur a toujours fait son credo de la légitime répugnance qu’il inspire, jusqu’à chercher méthodiquement à incarner, à la vie comme à la scène, ce parangon du bourgeois de droite insatisfait et fruste. Dans Les Visiteurs : La Révolution, son visage de plus en plus bouffi parait d’ailleurs avoir englouti ceux de Sacha Guitry et Nicolas Sarkozy, comme deux modèles d’histrions inatteignables.

Ainsi, il ne faut pas chercher ailleurs que dans le ressentiment cette haine de la Nouvelle Vague alimentée d’une interview à l’autre tout au long de sa carrière, et qui lui inspirera un de ses scénarios les plus justes, Mes Meilleurs copains, récit d’anciens soixante-huitards que le film (déjà réalisé par son complice Jean-Marie Poiré) jubile de voir se transformer irrémédiablement en bourgeois. Avec Les Visiteurs, l’acteur n’a jamais rien théorisé d’autre que cette idiosyncrasie ingrate, ce tempérament de roturier envieux et faux-jeton, presque touchant à force d’être détestable. Sans véritable surprise, ce troisième volet finit carrément par le dépeindre en propriétaire collabo, geignant auprès de l’ennemi nazi de devoir dormir avec ses domestiques.

De quoi expliquer peut-être l’étrange émotion qu’il y a à voir l’acteur, en parallèle de ses caricatures de bourgeois infâmes (au collabo, il faut ajouter un ersatz pleutre de Javert), continuer d’incarner avec gloutonnerie son personnage d’incorrigible gueux. En un ego trip à la fois masochiste et cynique, celui qui échoua naguère à camper Napoléon ou Astérix sait que son salut ne se trouve plus que dans ce Doppelgänger irrévérencieux et salace, né dans la fange du peuple et condamné à observer les différents avatars de son devenir bourgeois. Plus qu’une mauvaise conscience, cette mascotte moyenâgeuse représente pour lui une vraie libération, une parenthèse régressive où rien n’évolue et où donc tout semble encore possible — comme par exemple, et pourquoi pas, se rêver en héros populaire et national.

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