Au milieu des seventies expérimentales, au moment où le 7e art est bien préoccupé de sa « vérité », deux cinéastes, François Bel et Gérard Vienne, tentent de mêler avant-garde et documentaire animalier. Partis dans la savane africaine filmer les lions au plus près possible, au sens propre comme au sens figuré, les deux réalisateurs ont pour but d’enregistrer la nature dans sa nudité même, en respectant son caractère primitif et sauvage. Ainsi, au prix de préparatifs que l’on imagine extrêmement longs et dangereux, réussissent-ils à filmer les grands fauves sur leur propre terrain, et surtout de nuit, c’est-à-dire au moment où ils chassent et où ils sont le plus actifs. De même, en lieu et place des commentaires explicatifs propres au genre, se substitue une véritable « partition sonore » (selon le terme inventé par le compositeur lui-même, Michel Sano, élève de Boulez et expérimentateur « audiovisuel ») où se mêlent bruits de la savane et tam-tams africains. Le tout, en certains endroits, forme une musique stroboscopique et hallucinatoire, rythmant un montage lui-même frénétique qui alterne images de l’infiniment grand (les énormes pattes d’un groupe d’éléphants pris au grand angle) et de l’infiniment petit (la peau de l’hippopotame, paysage en soi).

On voit bien qu’il s’agit de trouver une certaine vérité dans la description du monde animal, loin de l’anthropomorphisme réducteur et infantile des documentaires animaliers classiques. Alors que ceux-ci tentent habituellement de donner une identité aux animaux en les individualisant et en montrant ce qui les sépare, La Griffe et la dent cherche, au contraire, en dégageant des points communs, à les montrer tels qu’ils sont, éléments indifférenciés dans une nature unique. Là où le film réussit son pari c’est qu’il n’est, en effet, nul besoin de faire des animaux des personnages. La nature fictionne d’elle-même, mini-récits qui racontent toujours la même histoire, celle de la loi du plus fort. D’où quelques scènes étonnantes, où le plus cruel est aussi parfois le plus drôle : un oiseau particulièrement fourbe qui attend qu’un second ait posé la dernière brindille de son nid pour le lui chiper, ou bien encore cette jeune lionne qui s’amuse avec un blaireau en le tirant par la queue alors que celui-ci tente désespérément de s’échapper.

Lorsqu’il tend vers la pure abstraction, La Griffe et la dent est beaucoup moins convaincant, usant d’une surenchère d’effets, comme ce montage rapide, qui revient plusieurs fois, particulièrement pénible à regarder. Au lieu de miser sur l’enregistrement pur et simple du réel (comme dans les films exemplaires de Jean Painlevé au début du siècle), les deux cinéastes accumulent alors les poses artistiques, mordant, en quelque sorte, leur propre dispositif par la queue.