Avec La Chambre du fils, Nanni Moretti radicalise la nouvelle orientation donnée à son cinéma par Aprile, son précédent film. Le logo de sa maison de production en assume d’ailleurs toute la symbolique. Assis sur la célèbre Vespa qui nous entraînait dans les rues de Rome au cours de la première partie de Journal intime, un jeune enfant a rejoint le cinéaste. Jusqu’alors politique et égocentrique, le point de vue de Moretti se recentre sur la famille, tout en se diffractant afin d’épouser la vision de l’ensemble des individualités qui la composent. Un glissement dont les répercussions renouvellent les fondements du cinéma de Moretti, habitué des élucubrations agitées et farouchement subjectives. Simple et juste, La Chambre du fils propose à l’opposé une vision presque entomologiste du travail de deuil accompli par une famille frappée par le décès du fils. Mais bien que réalisé sur le mode du constat, le film ne se départit pas d’une poésie singulière, propre à l’univers du réalisateur.

Un élémentaire récit linéaire en trois parties supporte cette marche régulière vers l’accomplissement du deuil. La famille de Giovanni baigne dans une félicité sans éclat, presque inconsciente de son bonheur. Puis vient la rupture. Le décès du jeune fils de Giovanni détruit brutalement cet état extatique avant que les trois membres restants ne retrouvent le chemin de la vie. Un mécanisme mis en mouvement par la violence du contraste entre l’avant et l’après décès. Rien de bien novateur donc. Pourtant, l’attention que Moretti porte à la respiration de ses personnages, immédiatement restituée à travers une sélection millimétrée d’instants clés, donne un souffle puissant à cette évocation basique. Le plus souvent banalement neutre, une seule fois trop vif comme s’il échappait à tout contrôle (la mort d’Andrea, le moment où tout bascule, montée très rapidement), le rythme des séquences épouse au plus juste celui du cheminement réel supposé de ces trois vies, pour en tirer une force d’évocation psychologique irrésistible.

Le choix du montage alterné, sautant d’un personnage à l’autre, juxtapose les points de vues (le désir obsessionnel de Giovanni de revenir en arrière constitue la seule partie un peu trop didactique du film) tout en donnant naissance à une mélancolie hétérogène mais commune, finalement chassée au cours d’une envolée poétique des plus retenues. Car rien ne dépasse dans La Chambre du fils. Pas plus le bonheur que le reste. La renaissance ne produira pas plus d’éclat que le drame. Ou alors si peu. Une crise de sanglots, des sourires furtifs. Un ton mesuré qui fait toute la force du film. Si Nanni Moretti fait resurgir la vie de la mort, ce sera donc par hasard, à l’occasion d’un incident quelconque. En accompagnant presque malgré elle l’ex petite amie de leur fils vers la frontière italienne, comme un ultime et sublime adieu mortuaire par procuration, la famille de Giovanni pénètre dans une dimension quasi lyrique pour ce contexte atone et engendre une euphorie inattendue et revivifiante. De ces évocations émotionnelles infinitésimales, et pourtant démesurément sensitives, naît un grand film thérapeutique.