D’emblée, Jugé coupable offre un saisissant contraste avec la réalisation précédente de Clint Eastwood, Minuit dans le jardin du bien et du mal, qui travaillait en profondeur une histoire criminelle, avec en perspective l’analyse d’une microsociété, celle de la petite ville de Savannah. D’un style ultra classique, ce film revendiquait une transparence et un statisme provocateurs envers un Hollywood désormais dominé par la loi du montage ultra rapide et de la caméra mobile. Le nouveau long métrage de Clint Eastwood semble établir un judicieux compromis entre les envies classiques du cinéaste et son retour à un cinéma d’action fondé sur un dispositif narratif riche en suspense. Steve Everett (Eastwood), reporter au journal Oakland Tribune, est chargé de reprendre l’enquête de sa collègue, morte dans un accident de voiture. Il s’agit de couvrir l’exécution de Franck Beechum (Isaiah Washington), condamné à mort pour avoir tiré sur la caissière d’un drugstore. Très vite convaincu de l’innocence de Beechum, Everett a douze heures pour en rassembler les preuves, et le sauver de l’exécution.

Si la tension dramatique est garantie, celle-ci ne monopolise pourtant pas de manière exclusive l’ensemble du film. Clint Eastwood est un véritable auteur, on retrouve donc de film en film ses thématiques habituelles. Dans Jugé coupable, Everett ressemble en grande partie au héros eastwoodien type, une sorte de lointain cousin du tueur d’Impitoyable. C’est-à-dire un chevalier à la noble cause, hanté par la tentation des vices, et condamné finalement à errer seul. Ici, il se retrouve confronté à deux choix de vie possibles : celle du reporter individualiste en proie à de vieux démons (les femmes mariées et la bouteille), et celle du bon père de famille. Mais cette dichotomie entre le bien et le mal n’est pourtant pas si franche. Everett délaisse femme et enfant pour la bonne cause, la défense d’un faux coupable. Ainsi, une situation inextricable s’impose à lui, un événement dont il n’a aucune chance de ressortir intact. On retrouve aussi dans le film le même sens de l’ironie et de l’absurde se traduisant parfois chez le cinéaste par un humour assez noir (cf. la scène de la visite expresse du zoo où sa fille dégringole de la poussette qu’il pousse à cent à l’heure, ou bien encore ses rapports avec son rédacteur en chef -James Woods).

Par sa vision du monde et des relations humaines, Eastwood réussit justement à insuffler de la vie dans un scénario qui aurait pu n’être que pur suspense. Ce souffle se cristallise particulièrement dans les moments d’intimité entre Beechum et sa femme, juste avant sa mort. Pas de pathos inutile, mais la simple retranscription d’un drame, accompagné de la tristesse qui en découle naturellement. Le style épuré du cinéaste renforce paradoxalement le malaise, à l’image de la scène d’exécution de Beechum, filmée avec une sobriété quasi clinique vraiment terrifiante. Sans dévoiler la fin du film -pourquoi vous priver d’un final haletant (ceci d’autant plus qu’à aucun moment on ne sait où veut en venir le réalisateur) ?-, on ne cachera pas la tendance au pessimisme de l’auteur. Suivant une trajectoire en forme de boucle, le destin de Steve Everett semble être immuable, déterminé à l’avance. Mais contrairement aux légendes dans lesquelles le héros ploie sous la fatalité, chez Eastwood, celle-ci lui est immanente. Il est lui-même porteur de son destin. Jugé coupable perpétue la tradition du mythe du héros américain passé au vitriol qu’affectionne tout particulièrement le cinéaste.