Sandrine Bonnaire en femme de ménage taiseuse et soumise qui papillonne en bicyclette bleue dans une Corse de carte postale, un Kevin Kline mystérieux et énigmatique, une histoire molle du genou de couple rongé par les habitudes… On ne peut pas dire que le socle sur lequel s’appuie Joueuse donne envie de se taper le popotin par terre. Mais c’était sans compter sur l’idée-pitch du siècle : la douce Marianne qui s’ignore (Bonnaire) découvre par hasard les échecs et se prend de passion pour ce jeu réservé aux richards et aux intellos de tout poil, au point de tout sacrifier pour lui et de menacer l’équilibre de sa petite famille. Le film vire alors à un drôle de mix entre roman de moeurs dix-neuvièmistes (la souillon qui éponge et canalise la pourriture bourgeoise tout en gardant sa dignité), téléfilm France 2 et Rocky Balboa. C’est dans cette troisième voie que se joue l’essentiel, Joueuse présentant les étapes initiatiques de l’héroïne (elle joue en cachette la nuit sur un damier électronique avant de triompher dans une compétition au nez et à la barbe de sinistres notables) à la manière d’un vrai petit manuel de survie.

On ne connaissait guère que les plus artificiels biopics hollywoodiens pour mettre en scène une discipline pas forcément très glamour (les séances d’algèbre dans Un Homme d’exception ou, récemment, les séances de lecture du grotesque Reader), comme s’il s’agissait de la spécialité la plus cinégénique qui soit. Avant de craquer sur la fin, Joueuse s’en tire avec les honneurs, dévoilant les progrès de l’héroïne selon une logique de répétition soigneusement agencée et un sens de la métaphore (Kline et son côté Méphistophélès du dimanche) pas déplaisants et sauvés en permanence par l’humilité et le naturel de Caroline Bottaro. Mais le ridicule absolu du climax – une scène d’amour passée à la moulinette des Echecs (Bonnaire et Kline s’envoyant de torrides A4, B13, F7 ou K3 en suggérant une partie imaginaire) – révèle la terrible fragilité de ce système aussi improbable que frappadingue une fois poussé dans ses derniers retranchements. A Sandrine Bonnaire quand même, dans un rôle où rayonne plus que jamais ce drôle de charme terne si souvent exploité, de contenir la petite musique du film : une sorte de fable initiatique à la Rain man revue et corrigée à la sauce Isabelle Alonso.