GI Joe en est la nouvelle preuve : il va vraiment falloir créer un sous-genre. Ce tiroir où l’on pourrait enfin ranger ce cinéma numérico-fantoche, tous ces actioners en plastique souple qui se contorsionnent jusqu’au noeud gordien. On ne parle pas ici de ces grands films fractales (Speed racer, Southland tales (voir Chronic’art #53), Time and tide…), mais de leur stade inférieur, sous-évolué disons, que les Hypertension d’hier et les Transformers 2 d’aujourd’hui incarnent dans toute leur inconséquence. Quand un Terminator 4 singe ses frangins eighties dans une raideur anachronique, quand Roland Emmerich se borne à tout fracasser à coup de money-shot à la courte focale (le futur 2012), ces objets impurs et déraisonnables optent pour le débord permanent, un sur-régime d’images qui manque, dans le meilleur des cas, de faire s’effondrer le film sur lui-même à force de le former et de le transformer (Transformers 2, exercice d’auto-saturation épuisant). Même la mise en scène y capitule. Elle se réinvente comme un flux tendu, sans mise en espace ni pulsation, choisit de tout sacrifier sur l’autel de la vitesse mais ne débouche que sur un sur-place hystérique. GI Joe est le dernier né de ce cinéma, appelons-le de « transformaction » (parce que « subtil » c’était déjà pris).

Par un drôle de hasard, les deux derniers rejetons du dit sous-genre sont des adaptations de jouets articulés. Hasard, vraiment ? Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit de triturer des artefacts, de faire joujou avec, de les balancer à travers la pièce et contre les murs, mais sans jamais trop s’éloigner du coffre à jouets (surplace, disait-on). L’horizon cinématographique de Stephen Sommers, à l’instar de celui de Michael Bay, ne dépasse pas la moquette verte de sa chambre. Ces deux-là peuvent inventer toutes sortes de mondes excessifs, se palucher sur de simili pornstars, se projeter dans des aventures bigger than life, le tout dans le confort douillet et rassérénant d’un vase clos. C’est encore plus vrai dans le cas de Stephen Sommers, plus léger, moins radical que son confrère. Il y a toujours eu chez lui cette même manière de tout plastifier, des personnages à l’histoire, des SFX à la mise en scène, qui trahit le point de fuite de son cinéma : Toys’R’Us. Contre-productive quand le genre exige une patine (La Momie et Van Helsing, dévitalisés à force de plasticine), cette doxa trouve logiquement un point d’achèvement avec GI Joe, film-univers tout entier bâti autour d’un « On dirait que » de cour d’école. Les missiles des méchants filent à Mach 5 ? On dirait que l’avion du héros irait à Mach 6 ! Une poursuite dans Paris ? On dirait que les GI Joe auraient piqué l’armure d’Iron Man pour se déguiser en Yamakasis stéroïdés ! Une fille chez les militaires ? On dirait qu‘elle aurait 160 de QI et un 90D dans la brassière ! Une déréalisation relayée par l’esthétique numérique criarde, presque cheap, qui réduit les acteurs à leur enveloppe, les ravale au rang de simples hologrammes (le film n’arrête pas de jouer sur cette confusion). Mais Sommers entretient un rapport si décomplexé avec son joujou électronique que s’en exhale comme un parfum de plaisir coupable.

Pas d’équivoque : la grammaire cinématographique de Sommers est lamentable. Il surdécoupe, parkinsonne et faux-raccorde sans jamais rien générer en retour : ni vertige, ni effet de dépassement, ni sidération graphique (tout ce vers quoi finit par tendre malgré lui un Michael Bay). Simplement, il le fait avec une énergie candide qui emporte instantanément l’adhésion. Comme si l’on pouvait tout pardonner à un film où des troufions en exosquelettes évitent des missiles et des Clio catapultées dans les airs, où le multi-climax final revisite celui du Retour du Jedi en l’épuisant jusqu’au délire. Deux morceaux de bravoure hyperboliques, sans fondements ni conséquences, symptomatiques d’un film où action et héros ne cessent de renaître de leurs cendres, où l’unique préoccupation serait de se régénérer encore et toujours (en bon prototype de cette nouvelle vague, Hypertension ne disait rien d’autre 2006). Dans GI Joe, personne n’est jamais vraiment blessé, les cicatrices ne survivent pas au plan suivant ; on change de lieu, de temps, d’état, de visage en un raccord mouvement. Entre puérilité et métamorphose, il y aurait la place pour une question : et si le cinéma de « transformaction », c’était d’abord un cinéma pas fini ?