Après l’horreur et le western, Kim Jee-woon (2 soeurs, Le Bon, la brute et le cinglé), revient au vigilante, c’est-à-dire au premier genre déchu qu’il s’était ingénié à profaner avec son A Bittersweet life. La trame, faussement conventionnelle, suit l’académisme du jeu du chat et de la souris entre deux personnages : un serial killer et un agent secret qui, suite au meurtre de sa fiancée, le prend en chasse pour se faire justice. La confrontation entre les deux antipodes, pur prétexte et non finalité, se voit évacuée en moins d’une heure, au profit d’un sadisme alternatif aux marottes du film de traque : le héros relâche le tueur à chaque fois, après l’avoir bien amoché. Torture porn sous speed aux airs de jeu de l’oie, le film déploie quantité de séquences de supplices, dont la violence chapitrée et exponentielle efface tout autre enjeu scénaristique. Dans un schéma de relance constante et de pastiche bouffon, le film joue habilement des masques de victimes et bourreaux entre les deux parties, jusqu’au trouble – le serial killer en profitant, entre deux corrections, pour s’offrir d’autres victimes. Entre slasher et film de traque, cette rencontre avec le diable évolue selon une logique épidermique et sérielle, où la répétition de schémas de genre fonctionne comme seul pivot narratif. Malgré son humour narquois, qui masque parfois la vacuité de certaines scènes bavardes, le film, trop long (2 heures et plus), ne tient malheureusement pas la distance. Kim Jee-woon n’a pas le talent d’un Bong Joon-ho pour dépeindre la monstruosité née d’une société névrotique. La misanthropie et la noirceur sociale sont devenues, sinon une norme, une tarte à la crème dans le landernau coréen : avec sa vision de la Corée comme enfer des damnés où chaque coin de rue abrite un psychopathe en puissance, J’ai rencontré le diable n’y coupe pas. Cette orientation mythologique est d’autant plus gâchée qu’elle se voit balayée par une morale pudibonde sur (super scoop) les méfaits de la vengeance. Doublé d’un discours sur notre propre voyeurisme pulsionnel, ce renversement éthique apparait comme une pure incohérence à la sauvagerie déployée en amont, comme un écho mal digéré des débilités, masquées derrière le cynisme, que nous servaient autrefois un Park Chan-wook.

Reste finalement l’énergie, saisissante, du film, qui n’est pas sans rappeler le remarquable Breathless de Yang Ik-june, voire Outrage de Kitano. Déferlement obsessionnel, parfois jusqu’à la nausée (encore une fois, la durée s’avère critique), le film atteint une dimension cinétique et aride, sans autre substance que le seul mouvement de l’action meurtrière. En climax de cet enchaînement compulsif, quasi pavlovien, de tueries, émerge un morceau de bravoure : la scène de massacre entre trois hommes, dans l’habitacle d’un taxi en marche. Filmée en travellings circulaires, la séquence atteint presque, par l’étirement du temps et l’absurdité de la situation dans un espace aussi réduit, une virtuosité expérimentale. Dénué de tout autre intérêt, J’ai rencontré le diable fonctionne à l’image de cette scène, comme une centrifugeuse de stimuli et de chocs. Alors débarrassé de ses manies psychologisantes, le film trouve enfin la diablerie de son titre : celle d’un exutoire de matière et d’énergie, dans une pure logique de gratuité.