On sait que Kitano ne tient pas l’inspiration de sa vie depuis une petite dizaine d’années. Qu’il s’escrime depuis à tourner avec la régularité d’un horloger reste un mystère : simple déterminisme de cinéaste qui fait son job, ou espoir tenace qu’un nouveau cycle s’enclenche à force d’obstination ? La vérité est sûrement quelque part entre les deux. Achille et la tortue, dernière tentative en date, faux biopic hilarant, marquait un net regain de forme, comme si la patience kitanienne, au bout du compte, avait fini par payer.

Outrage peut se voir comme son versant polardeux. D’un côté, la confirmation que l’essentiel est assuré, et qu’au-delà, quelque chose prend vie : l’apparition en lettres rouges du titre sur le toit d’une berline de gangster et sur fond de musique électronique 80’s, ce plaisir du cérémonial yakuza plus renouvelé depuis Aniki, tout cela crépite de promesses et d’excitation. Mais on voit poindre en parallèle la hantise d’un manque, un sentiment latent de sécheresse, de contraction, que la rectitude mathématique du scénario illustre assez bien. En ouverture, une dissension montée de toutes pièces par un chef yakuza entre deux de ses lieutenants, et la théorie des dominos fonctionne comme prévu jusqu’au générique de fin : le clan se trahit et s’entretue par vagues successives, jusqu’à l’extinction complète.

Difficile avec ça de construire quelque chose en creux, ou en marge du genre, comme jadis Sonatine ou Hana Bi. D’ailleurs, Beat Takeshi (l’acteur), incarne ce drôle d’emprisonnement que le film exerce sur son créateur, tant il paraît ici fondu dans le ventre mou des yakuzas, circonscrit à un emploi de second couteau. Mais Outrage fascine aussi pour les mêmes raisons, pour ce côté rouleau compresseur incontrôlable. On pense surtout à la violence, ponctuation syncopée qui permet à Kitano de repousser les limites du genre pour longtemps – auriculaire péniblement scié au cutter, gencives charcutées par une roulette de dentiste : c’est réellement hardcore, mais plus mystérieux que gratuit, bien au-delà de l’humour noir ou de la somation purement clinique. Rien que pour cet insondable entre-deux, on reste preneur.