Précédé d’une réputation sulfureuse et pointé du doigt pour ses images violentes auxquelles certains s’ingénient avec complaisance à accoler le qualificatif de pornographiques, comme si les deux mots associés suffisaient à déceler les stigmates d’une quelconque obscénité, Irréversible court malheureusement le risque d’être cantonné au rôle exclusif et anecdotique de film provoquant. Or ce rideau de fumée (qui dénote un réel manque de curiosité envers les images) masque un brillant exercice de style probablement travaillé par une obsession suprême inavouée : tenter de retrouver une forme originelle de pureté (ou au moins son icône).

A partir d’un dispositif narratif inversé où le film se raconte à partir de la fin, Irréversible est porté par un mouvement ascensionnel constant, une sorte de remontée des enfers vers le ciel. Loin du simple gadget visuel, cet effet d’inversion n’altère pas seulement la narration mais transforme l’histoire de Marcus (Vincent Cassel) et d’Alex (Monica Bellucci) au point d’altérer sa perception même. Dans les bas-fonds d’un club homo qui laisse libre court à tous les fantasmes sado-masos, un homme mû par la haine en recherche un autre. En remontant le temps (les scènes s’enchaînent à l’envers), on apprend peu à peu qu’il cherchait à venger sa femme, violée et défigurée dans un passage souterrain, qu’ils étaient très amoureux et qu’elle allait donner la vie à un enfant. Du coup, ce fait-divers des plus sordides et dégoûtants se termine de manière irréelle en happy-end. Une manière troublante de laisser envers et contre tout (particulièrement la vision pessimiste de l’humanité portée par Irréversible) un arrière-goût harmonieux à cet enchaînement dramatique pourtant irréversible, comme un acharnement à retourner l’implacable réalité. Une sorte de bonheur illusoire obtenu par la méthode coué du montage.

Produire ainsi du mouvement contradictoire et paradoxal témoigne de l’intelligence et de la maîtrise d’un cinéaste engagé tout entier dans sa radicalité singulière mais aussi et surtout dans son désir de cinéma. Car ses images percutent l’oeil avec la même animation antinomique que son récit, dans un rythme et un timing parfaits (voir la durée de la scène de viol qui s’écoule jusqu’à l’écoeurement physique). Et c’est vacillants que l’on sort des deux premières séquences pourtant traitées sur un mode cinématographique opposé, psychédélique lorsque Marcus fouraille les entrailles du club et figé pour le long plan séquence du viol (un morceau de bravoure d’un bon quart d’heure pour les acteurs). Juste avant que Gaspar Noé ne nous entraîne en remontant le temps vers des sphères de plus en plus élevées, apaisées, sensuelles (voir comment la scène intime entre Alex et Marcus s’oppose à celle du viol) et sublimes. Une brillante mise en équation inversée de motifs fondamentaux du genre humain (amour, haine, sexe, violence, naissance, mort) qui tient au fond d’une interrogation désespérée : doit-on se contenter d’un paradis fugitif fatalement voué à la disparition ou peut-on en retrouver le chemin ? Ou peut-être encore doit-on se contenter de se remémorer son image ? Presque une profession de foi.