Si ce film avait été réalisé par ce fumeux geek, critique de cinéma et accessoirement metteur en scène qu’est Peter Bogdanovitch, il ne serait certainement pas rentré dans la légende comme ce fut le cas quand Leone, lâché aussi par Peckinpah pour en assurer la réalisation, dut se résoudre à mettre la main à la manivelle pour continuer sa seconde trilogie. Evidemment, Il était une fois la révolution n’a ni la classe, ni la justesse de rythme, ni la même équipe artistique (Argento et Bertolucci au scénario) que son prédécesseur, Il était une fois dans l’ouest. Pourtant il est comme ces grands films malades (ainsi le jugea Truffaut), un peu claudiquant, pas très bien foutu – mais c’est ce qui constitue sa grâce de petit bâtard voluptueux. Un peu comme La Fille de Ryan de David Lean sorti un an plus tôt en 1970, oeuvre parfois maladroite, souvent ringarde dont la Révolution partage quelques similarités romantico-gnangnantes. Il en va de même pour leurs réalisateurs dont il s’agira des deux avant-dernières mises en scène officielles, cinéastes étrangers venus sauver un cinéma américain à la dérive avant l’arrivée des jeunes piranhas du Nouvel Hollywood rendant leur industrie bien plus protectionniste.

A cette époque, Leone n’a déjà qu’une envie en tête : raconter la prohibition, l’Amérique. Mais il devra attendre douze ans pour mettre en branle son histoire de gangsters, car il lui est exigé un ultime western avant qu’il puisse dépenser sans compter dans son péplum urbain. Alors, on le sent un peu désespéré le gros Leone, un peu désabusé, emprunté, un peu gonflé de se retrouver avec ce baril de dynamite entre les mains. Car Il était une fois la révolution diffère et marque le pas. Ici, nous ne sommes plus dans le western dit spaghetti mais dans sa déclinaison, le western zapata, qui ajoute à son aîné une dimension politique ancrée dans la révolution mexicaine. L’œuvre sort au lendemain de toutes les révoltes sociales qui ont traversé le monde durant les quinze années précédentes et elle se pare en introduction d’une citation de Mao Zedong : La révolution n’est pas un dîner de gala ; elle ne se fait pas comme une œuvre littéraire, un dessin ou une broderie. C’est un acte de violence. Alors, on scrute, voir comment Leone, habitué de la lutte entre le mal et l’à peu près bien, va s’en sortir. La première séquence, peut-être la plus connue, et durant laquelle le pilleur mexicain, interprété par Rod Steiger, se fait humilier par des nantis avant de les mortifier, pose un rythme lentement réaliste et justifie d’emblée la raison d’une insurrection. Le film tente comme il peut d’avoir des références en citant les pères de la révolution, en montrant un livre de Bakounine, en s’inscrivant à la contrée de deux rébellions : la mexicaine et l’irlandaise personnifiées par la rencontre des deux personnages principaux. Pourtant, on est un peu dubitatif quant à l’engagement réel de Leone dans ce propos qui nous est adressé. Toujours dans cette première séquence de la diligence qu’un Dino Risi aurait pu tourner, quand les ignobles bourgeois se bâfrent en gros plan, on assiste à une leçon de cinéma se télescopant avec la farce. Procédé dont il va émailler tout le film grâce à des effets sonores ou visuels très cartoon. De ce fait, la force du message intrinsèque apparaît amoindrie au bénéfice de scènes qui cabotinent. Mais pas exclusivement, puisque Leone n’est pas dupe, bien que son film soit avant tout un divertissement, il fait comprendre que la révolution ne sert pas à grand chose, juste à déstabiliser un pouvoir pour en installer un nouveau, tout aussi répressif, stupide, qui ne sert qu’à décorer la vanité des uniformes. On sent un Leone pressé par le système hollywoodien, par son petit pouvoir de réalisateur, se rendant compte, un peu dépité, que son art ne changera jamais le monde, son mauvais état de marche dominé par le profit. Et si autrefois ses plans de grue permettaient de découvrir la naissance d’une nation, ici ils sont utilisés pour rendre compte de la cruauté, pour mettre en scène ses fosses à exécutions, le génocide. Aussi, Leone prend bien soin de ne pas différencier les bidasses de l’armée des rebelles en leur offrant les mêmes valeurs de plan, tous noyés dans le même espace, dans la même merde ; ils sont tous égaux, utilisés par leurs autorités.

Il est une fois la révolution… et la camaraderie aurait été un bon complément pour permettre au spectateur d’identifier le programme qui l’attend. Puisque le film marche sur un système binaire : révolution / amitié. Il suffit pour cela de prêter attention aux deux premières séquences, toutes deux égales dans la durée et dans l’importance du sujet traité : les bourgeois, puis l’apparition de l’alter égo de Rod Steiger, James Coburn, l’élégant irlandais. Magnifié par son arrivée dans un tourbillon de poussière, vêtu dans sa gabardine blanchâtre, chevauchant sa moto, il déchire tout le Techniscope et fend le paysage de Steiger par un coup de foudre. Il va d’ailleurs construire sa parade amoureuse en faisant pétarader tous les alentours avec sa dynamite et ainsi sceller le début de leur relation : le beau et la bête, l’homme et l’animal. Ce film de Leone, plus encore que les autres, fut souvent considéré comme son œuvre la plus ouvertement gay-friendly. Beaucoup ont dit qu’il s’agissait là d’un message de soutien à un autre cinéaste italien qu’il admirait discrètement : Pasolini. Et à y regarder de près, il est évident que plus qu’une simple histoire d’amitié, Il était une fois la révolution narre la rencontre amoureuse de deux hommes que tout sépare mais dont le pouvoir d’attraction / répulsion se conclura dans une massive explosion de foutre d’artifice. Leone nous installe dans la peau du mexicain, gras, sale moche et nous demande d’admirer l’apparition de la classe dans le désert, de l’illumination au milieu de l’aveuglement. Le personnage de Coburn est glorifié par les plans de Leone, sa façon de lui filmer ses grosses dents blanches et carnassières dont il se sert pour émasculer son partenaire, sa manière de lui faire porter le feutre, maniérée. Il y a aussi les quelques flashbacks relatant la vie de Coburn en Irlande où il commençait à militer pour l’Ira. Scènes exaltées par le thème de Morricone Sean, Sean, pas loin d’être son meilleur et qui rehausse sans aucun doute la forte sympathie éprouvée pour le film. Ces flashbacks sont surtout l’occasion de s’apercevoir que plus que sa cause, son flirt avec une jeune femme, ce qui prévaut à cette époque, c’est sa relation avec son meilleur ami, voir son petit ami inavoué. Le même qui le dénoncera au pouvoir, ce qui forcera Coburn à quitter le pays. Histoire qu’il puisse se substituer à la nouvelle, en exil. Mais pour ne pas souffrir cette fois-ci, c’est lui qui décide de s’en aller, laissant au personnage de Steiger le vide et l’éternité pour le pleurer. Alors on est un peu comme lui à la fin, heurtés par cette disparition et assommés une dernière fois par la musique de Morricone qui rouvre béantes les plaies de la nostalgie.