On avait été un peu surpris de la pluie d’éloges reçus par Mur il y a quelques années. Le premier long-métrage de Simone Bitton apportait bien sa petite pierre à l’édifice déjà riche du cinéma engagé du Proche-Orient, on restait très en-deçà des réussites de Gitai, Hadjithomas et Joreige, Mograbi ou Folman. C’est peu dire que Rachel ne bouscule pas cette impression mitigée de départ : s’inscrivant dans le contexte des expulsions sommaires mises en œuvre dans les colonies par les autorités israéliennes, ce récit de la mort d’une jeune pacifiste américaine tuée par le bulldozer qu’elle s’efforçait d’arrêter n’a ni l’ampleur géopolitique, ni la finesse intimiste de ses prédécesseurs.

Tout le travail de la cinéaste paraît aimanté par le désir de recréer à l’écran les circonstances de l’accident : toutes les interviews de témoins, l’enregistrement vidéo des soldats, les photos du cadavre ont ce même objectif de s’approcher au plus près du drame, donner à voir les circonstances objectives de son déroulement. Procédé discutable à plus d’un titre, qui s’expose au soupçon de voyeurisme et sensationnalisme (le cadavre de Rachel comme image choc éveilleuse de conscience). On mesure surtout tout ce que le film laisse en plan : portrait d’une nouvelle génération de résistance civique (les compagnons de Rachel passent une tête : nom, prénom et nationalité, point), récit historique de la colonisation et des destructions qui s’ensuivent… L’enquête officielle ayant manifestement été étouffée par les autorités, il était légitime qu’un film entende prendre le relai, quitte à ressembler à un document essentiellement descriptif et procédurier. Mais le parti pris l’empêche aussi cruellement de décoller de l’évènement et le film reste rivé à son interrogation unique : le conducteur du bulldozer pouvait-il distinguer Rachel derrière le talus ?

On est surtout frappé par la grande naïveté du film, déjà notable dans Mur. Quand Simone Bitton montre une vidéo de Rachel dansant avec de jeunes palestiniennes, ou fait lire ses derniers mails aux élans adolescents quelque peu clichés, aucune distance ne transparaît, rien qui dépasse le constat de bonnes volontés manifestes, et de la générosité des étudiants. Un autre cinéaste aurait ironisé sur leur peu d’efficacité, ou interrogé les limites de cette bonne conscience occidentale : on ne dit pas que c’était la meilleure piste, ni ce qu’on aurait souhaité, du moins une réflexion aurait pris place, même discutable ou tendancieuse, quelque chose qui interroge cette plate commémoration-là. C’est encore plus frappant dans le cas des « méchants » : on a droit à un entretien avec un jeune soldat qui ne comprend pas pourquoi il se comporte aussi mal et se déclare, penaud, « plutôt gentil dans la vie ». Z32 en début d’année était tout de même autrement pénétrant, et drôle, et glaçant. C’est peut-être ça qui nous gêne le plus : la maladresse d’interviews visiblement menées à la hâte, où les témoins sommés de répondre à quelques questions bateau (et alors tu as eu peur ? qu’est-ce que ça t’as fait ?) n’ont à offrir que des bribes de réponse stéréotypées. Dans la sublime trilogie de La Maison, on sentait les heures de rushes accumulées, une intimité croissante avec les interviewés qui permettaient à Gitai d’obtenir des confessions ou prises de conscience absolument bouleversantes, où la finesse de l’analyse et le poids de l’émotion se renforçaient l’un l’autre. Rachel n’a à offrir que son simplisme, qui n’a même pas la valeur pédagogique, le côté « film pour enfants », au meilleur sens du terme, que revêtait souvent Mur.