Disons le tout net : Hulk est un grand ratage. De l’histoire de Bruce Banner, ce scientifique qui, suite à des radiations gamma (pour simplifier), se transforme en un surpuissant monstre verdâtre lorsqu’on provoque son ire, il ne reste pas grand chose. Passe encore les coquetteries stylistiques d’Ang Lee (Hulk vole), les hommages naïfs à la BD dont est tiré le film (le cadre démultiplié en cases de bande dessinée) et le récit laborieux (inefficacité absolue du scénario freudien -tuer le père). Le plus raté reste la mise en scène de la colère. Il est curieux d’avoir confié ce projet à Ang Lee, lui le cinéaste de la rage rentrée (Ice Storm, Raison et sentiments), alors que Hulk est le personnage des déchaînements pulsionnels incontrôlables, d’une rage qui précisément éclate d’avoir été trop longtemps enfouie dans le subconscient de Bruce Banner. La colère lourde et ancestrale du personnage est un cri primal venant des entrailles, tout à la fois une mort et une naissance que Lee filme comme on s’acquitte d’une corvée : la transformation est là, le personnage aussi, mais ils ne sont jamais problématisés.

Rien ici n’a de poids. Hulk n’est pas Matrix. Il ne s’agit pas de stases graphiques qui, de par leur immatérialité semblent consubstantielles au numérique, mais d’incarner un corps qui pèse, vit dans toute sa monstruosité et sa splendeur terrestres, presque archaïques (cela même si bien sûr il est le produit de manipulations génétiques). C’est là que le bât blesse : les effets spéciaux d’une grande laideur peinent à faire sentir que ce corps existe, comme en témoignent les scènes de transformation qui semblent le fait d’un être en pâte à modeler. La greffe chair humaine / numérique ne prend pas, comme si deux matières incompatibles s’affrontaient dans un corps instable.

L’acteur (Eric Bana) a beau faire, tout ce qui reste d’humain en lui lorsqu’il s’est mué en Hulk s’évapore devant l’acharnement numérique à animer son visage, comme naguère les ingénieurs d’ILM le firent avec les dinosaures de Spielberg (d’ailleurs autrement plus convaincants). Car s’il y a bien une chose qui n’existe pas le moins du monde chez Hulk, c’est son visage (même si c’est pour exprimer des expressions basiques, dénuées de subtilité). Le visage, la colère : humain, trop humain, on ne sortira jamais de cette antienne.