Douglas Buck est un de ces nombreux cinéastes américains indépendants révélés sur le long terme au fil des distinctions festivalières. Son œuvre en porte les stigmates : l’horreur frontale accouplée aux tourments existentielles de la middle class banlieusarde en disent autant sur l’Amérique que sur la représentation traditionnelle qu’en font ceux qui la sonde à la marge. Volontiers analyste, parfois maniériste, Buck n’y va pas par quatre chemins : il revendique haut et fort son statut d’auteur, dit tout le bien qu’il pense du cinéma de genre intello. Abel Ferrara et Brian De Palma, dont il prépare le remake de Sisters, comptent parmi ses maîtres à penser. Mais au-delà des références chics ou de la manière choc, force est de reconnaître la grande pureté formelle qui se dégage de Family portraits, sa manière unique de reconsidérer un motif mille fois rabattu. Portraits de famille certes, le film marque surtout par sa capacité à faire éclater la violence sociale, de la prolonger jusqu’à l’abstraction comme un cauchemar éveillé.

Dit comme ça, l’exercice semble scolaire. Il est vrai que ces trois courts métrages suivent une trame qui frôle l’exposé de terminale. A) La violence conjugale avec Cutting moments, B) la violence familiale avec Home, C) la violence banlieusarde avec Prologue. Seulement Buck n’a de cesse de chahuter le concept en lui adjoignant un mystère dénué d’intellect, s’incarnant en une série de meurtrissures. Cutting moments par exemple, pierre augurale et angulaire du trauma qui ravage le reste du film. A la vision des premières images, on pense à du Norman Rockwell sous acide bâclé à mort, comme l’affectionne tant le cinéma indépendant. On y voit une famille vivant dans l’aigreur banlieusarde, faite de puritanisme et d’affaissement. Le père cisaille les Powers Rangers de son fils pour l’avoir vu monter ses jouets l’un sur l’autre, en levrette. Seule contre tous, la mère entretient un semblant de joie de vivre puis se fait congédier par son mari qui à une invitation coquine préfère la télé.

A ce moment, Buck outrepasse la caricature pour un délire horrifique calculé au millimètre. On assiste notamment à un découpage de lèvres aux ciseaux qui restera dans les mémoires comme l’un des moments de cinéma les plus insoutenables qui soient. Le film a une façon de dégénérer ses propres images, de les galvauder à la folie. Le concept ne consiste pas à détourner les clichés de la critique entomologiste, mais au contraire de faire de cette déviation une ligne droite, une autoroute de l’horreur dont on trace petit à petit l’architecture. Telle est le message de Prologue, film d’une infinie douleur, comme contusionné par les deux segments précédents, qui brosse le portrait croisé d’un vieux sadique et de sa victime dont il a coupé les bras. La mise en scène ne questionne pas, elle va jusqu’au bout de l’absurdité de la situation, constat empathique aussi perturbant que triste : retrouvaille entre le tueur et sa victime, réadaptation de la mutilée à la vie sociale, réaction de son entourage. Toute la beauté noire de Family portraits réside dans ce fait d’accepter la dégénérescence et d’y survivre.