Graver sur la bobine l’accouchement des mythes rock’n’roll : affaire pas mince que celle du biopic rock, sur laquelle nous étions largement revenus dans Chronic’art #36 (juin 2007). Dans ce cimetière des éléphants cuir et clous, les sacrifiés pour la cause échouent généralement entre académisme pétochard (c’est la majorité – au pif : Walk the line) et expérimentations en roue libre, parfois passionnantes, mais kickant un fan de base privé du livre d’images qu’il attendait à bon droit (après Last days, bientôt I’m not there, sur Dylan, qui vient de faire grand bruit à Venise). Déjà casse-gueule sur le principe, le cahier des charges se corse encore quand il s’agit de rendre compte d’icônes dont le trajet, comme l’imaginaire, furent aussi parfaitement consubstantiels à leur époque que, mettons, et puisqu’on est là pour ça, Joy Division.

Que la presse pour quadras cool s’emballe un poil trop (film de la rentrée pour Libé, a-t-on lu sur les colonnes Morris – ou alors c’était les Inrocks), voilà qui dit bien combien l’affaire est générationnelle. Pas seulement parce qu’il est ici question de Ian Curtis, le barde épileptique de la génération Mitterrand. Aux commandes de son biopic, c’est Anton Corbijn qui opère, LE marchand du temple new wave briton, pourvoyeur d’images fameuses dont le noir et blanc charbonneux habilla longtemps Depeche Mode ou U2. Double ration de madeleines, donc, pour qui cultivait sa dark attitude dans la pénombre d’une chambre d’ado à l’amorce des années 80. Cet emballement est tout excusé, et le film est par ailleurs plutôt bon. Mais puisqu’il est question d’un temps que nous ne pouvons pas connaître, et que nos héros à nous ne devaient se suicider que quatorze ans plus tard et à l’aide d’une carabine de chasse, bornons-nous ici à parler cinéma.

Le film est plutôt bon, donc. Doublement bon si l’on considère que sa réussite, mineure dans l’absolue, est arrachée à même la formule courante et si peu prolixe du biopic rock. Livre d’images, Control n’est que ça, et y trouverait son écueil s’il n’y avait là, de toute façon, la marque de fabrique de Corbijn photographe ou clippeur. Un temps, on regrette quand même l’équation trop simple du film sur la cold wave fatalement gravé dans un noir et blanc glacial à même la brique mancunienne. D’autant que les écueils du genre, Control ne sait pas tous les contourner. D’abord, il ne se passe pas complètement de cet impondérable un peu couillon, qui veut que l’on doive, dans le moindre mouchage de nez de l’idole, pister le sésame par où a frayé l’oeuvre en marche (ici, une épileptique s’écroule aux Assedics, et boum, Curtis se paient une suée et ni une ni deux, en tire She’s lost control). Il y a surtout, et c’est plus dommage, ce plan-épilogue un peu grotesque pour imager la conclusion que l’on sait (attention spoiler : Curtis finit pendu).

Reste que, cahin-caha, le film se trouve une forme assez idéale, entre vitrification et kenloachisation du mythe, rapatriant ce dernier sur un terrain salutairement trivial. Difficile en effet de faire plus prosaïque. Les références à l’Holocauste de l’esthétique Joy Divison, dépositaires d’un nihilisme fin de siècle ? Non, juste une blague de lads à la con. La mystique du backstage ? Peter Hook et Bernard Sumner pétant dans les loges. Et puis il y a la trame du film, vaguement scandaleuse pour les fans hardcore, et reprise du bouquin de la veuve Curtis. Où l’on apprend que s’il s’est passé la corde au cou, c’est que, partagé entre sa moitié épousée trop tôt et une jolie pépé belge, Curtis avait le coeur grenadine. Enfin, et surtout, il y a Sam Riley, révélation totale dans la peau de Curtis, musicos lui-même et tout bonnement prodigieux quand il singe la transe de Curtis sur scène. Réussite éclatante du film, et, on serait tenté de dire, du genre, tant les efforts mimétiques sur ce terrain sont d’ordinaire piteux (Val Kilmer en Morrison, on en rit encore). Ca valait bien une rencontre avec Sam Riley.