C’est avec une retenue et une élégance toutes garreliennes que Mia Hansen-Løve raconte le destin d’une famille. Pas d’hystérie pleurnicharde, pas de pathos autofictionnel, Tout est pardonné avance calmement, comme apaisé. On saura gré au film d’une telle sérénité, d’abord parce qu’il échappe brillamment aux convulsions d’un certain cinéma de jeune fille contemporain. Le récit, entre Vienne et Paris, la rupture et la réconciliation, s’étale pas à pas sur une dizaine d’années tandis qu’à cette ampleur temporelle les sautes des ellipses bien placées viennent donner un contrepoint efficace et parfois vertigineux. D’un plan à l’autre dix ans sont passés, une femme meurt, un enfant a grandi et l’amour disparaît. Même discrétion dans le jeu peu appuyé des acteurs, le visage désolé de Paul Blain, les traits évaporés de la mère autrichienne (Marie-Christine Friedrich, descendante de Johanna Ter Steege), et la légèreté leur fille adolescente (Constance Rousseau).

Tout est (trop) beau ? Pas d’accroc, pas de fausse note. A force de maîtrise et de retenue, le spectateur reste pourtant sur sa faim. La filiation avec Garrel, la résurgence des années 70 dans les années 90, la beauté du style et des acteurs, finissent par recouvrir le film sous un voile presque joli et le retrancher derrière ses influences. Effet de pudeur pour mettre à distance la part autobiographique du récit ? Peut-être, mais le film manque alors ce qui le rendrait singulier, non pas ses nièmes séances de shoot sur musique rock, ses visages douloureux éthérés, mais plutôt le choix d’un point de vue. Car enfin, l’originalité de Tout est pardonné, de son projet du moins, c’est de filmer l’histoire du couple non plus du point de vue de l’un ou l’autre mais du troisième, de l’enfant qui a grandi. Or, de ce point de vue-là, celui qui se souvient, fantasme, imagine ce qu’ont pu être ses parents, celui qui tente de comprendre après coup, Mia Hansen-Løve ne laisse rien paraître. L’enfant reste un personnage parmi les autres et l’histoire se raconte mais sans mémoire, sans le tremblement hésitant d’une anamnèse.

D’inquiétude et d’incertitude, peu de trace, sauf peut-être dans le regard de l’enfant devenu adolescente : à chacune de ses apparitions, les yeux de l’actrice Constance Rousseau balayent l’image de droite à gauche dans un va-et-vient fébrile, signe discret que quelque chose est brisé. Trop écrite, l’histoire des parents avance quant à elle tout droit, objective, presque figée. Le film commence sur une image du temps de bonheur, lumineuse, détachée de tout ancrage : un père joue avec son enfant. On regrette que le regard de ce petit enfant s’efface derrière l’exactitude des faits et la précision des images.