Un directeur de label musical, sommé par sa direction de renouer avec le succès, entreprend de créer un groupe musical composé d’un prêtre, d’un rabbin et d’un imam. Nanti d’un tel argument, propre à renouer avec les comédies communautaires d’un Philipe de Chauveron (Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu ?), le premier film en solo de Fabrice Eboué laissait peu d’espoir quant à sa réussite. Le seul crédit qu’on pouvait lui accorder sur le papier tenait en la personnalité de son auteur. Eboué, sorti des rangs du stand up, option Jamel Debbouze, a traversé scènes et plateaux télé avec une dose de mauvais esprit à la limite de l’agressivité. De quoi imaginer, sur le papier, une possible formule de comédie éloignée des opérations de blanchiment du racisme ordinaire dans lesquels trempent les grosses cylindrées hexagonales. Mais inutile de laisser son imagination cheminer plus loin : sur l’écran, Coexister est la nullité que son sujet annonçait. Le genre de film élevé comme un poulet industriel et vidé par un pistolet à cul dans les abattoirs du cinéma commercial français. Un petit objet déplumé, sans saveur et triste, qui ne raconte rien d’autre qu’un pan du système de production français.

Si l’on identifie rapidement les raisons d’un tel ratage tant elles éclaboussent toutes les premières scènes, il faut atteindre (péniblement) le premier tiers du film pour en comprendre le ressort profond. Le premier tiers, dans ce brouet de recettes narratives laborieusement recopiées dans les manuels d’écriture de scénario, c’est, évidemment, le premier renversement narratif du récit. Celui où vient une réconciliation qui va enfin lancer le film sur son programme d’agitation des communautés religieuses. Il lui faut donc une seule scène pour que le film révèle sa nature d’objet industriel, manufacturé dans les chaînes du cinéma français. On y voit le prêtre rejoindre le directeur du label pour le convaincre de reprendre le groupe. Evidemment, la scène se passe dans un club de strip-tease. Evidemment, deux danseuses perturbent la conversation en se déhanchant à côté de lui. Des filles en question, nous ne verrons pas le visage. La caméra cadre celui du prêtre, littéralement pris entre deux paires de fesses qui viennent se coller sur ses joues. Toute la scène agit selon un principe métonymique : le combat pour l’abstinence est le visage craquelant du prêtre et la tentation féminine est une paire de fesses.

A ce moment, on comprend une chose : le prêtre, c’est le spectateur. Et la paire de fesses, c’est tout le reste. Les personnages ? Une simple paire de fesses. Le scénario ? Une simple paire de fesses. Le sujet ? Une simple paire de fesses. La mise en scène ? Une autre paire de fesses ? Les gags, l’idée de faire rire un peu ? Une dernière paire de fesses. Coexister est un film au corps décapité, désincarné, vidé de toute volonté, et qui n’avance que comme un système de signes rapides à assimiler. Ses personnages sont des clins d’œil, épinglés sur un mur de clichés (prêtre enfant de cœur, juif dépressif). Son récit est une simple construction grammaticale pour lier les scènes entre elles. Les scènes n’existent que pour déplier les gags. Mais les gags existent si peu qu’il faut bien ces scènes pour avertir que nous arrivons dans la zone de rire. Car, évidemment, on ne rit jamais.

Coexister est un film qui n’existe pas. Ou, plutôt, qui n’existe pas ailleurs que dans les mécanismes automatiques de la production française : un comédien de stand-up pense qu’il est bon pour sa carrière d’être réalisateur, des financiers pensent qu’il est bon pour leur chiffre d’affaires de produire ce comédien, des acteurs pensent qu’il est bon de gagner de l’argent quoi qu’il arrive, et les écrans se remplissent d’images vides qui n’ont jamais été pensées ou désirées. Des images foncièrement paralysées. Quoique, tout de même : le personnage de l’imam emportait avec lui de quoi faire travailler la comédie sur des zones sismiques risquées. Mais le film, d’emblée, le présente comme un imposteur, un chanteur mécréant jouant au musulman. Ce faisant, il s’enlève très vite une épine du pied. Comme quoi, quand ce genre de film se met à penser, c’est toujours mû par la peur.

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