Jusqu’ici, Michael Haneke ne dissocia jamais le caractère édifiant de son cinéma d’une certaine âpreté dans l’approche, une rage rentrée assez malséante, un tempérament à la limite de l’incongru qui le distinguèrent comme un artiste « froid », un moraliste sec, un peu trop soucieux des démonstrations, mais crédible parce que radical. Or, si Funny games, son précédent film, amorçait déjà un tournant dans l’œuvre en cours, offrant un cadre trop évident à son thème de prédilection -les violences infligées aux individus- et usant de partis pris formels contestables, d’un didactisme bêtifiant -apartés des personnages s’adressant aux spectateurs, retour en arrière, accéléré de la situation en cours-, Code inconnu achève la transformation. C’est qu’il ne reste plus grand-chose de l’étrangeté et du malaise qui ressortaient du Septième continent ou de Benny’s video. Plus de gravité mais beaucoup de lourdeur ; plus de leçons difficiles à entendre mais un cours pénible à suivre.
Sous-titré « récit incomplet de divers voyages », Code inconnu reprend la structure éclatée de 71 fragments d’une chronologie du hasard, sans doute le meilleur film d’Haneke. Comparer les deux longs métrages permet d’ailleurs d’apprécier l’écart qui sépare le regard « dur » d’hier du balayage mou d’aujourd’hui. On peut rappeler le principe narratif : le récit fait se succéder sans logique apparente des situations, des actions, des temps morts jusqu’à ce qu’une cohérence apparaisse entre eux et libère un sens. A l’inverse de 71 fragments, dont le message se construisait peu à peu dans une incertitude qui tenait beaucoup à la neutralité de chaque morceau présenté, à sa brièveté ou au contraire à sa longueur inhabituelle -inoubliable face-à-face d’un pongiste jouant contre lui-même-, Code inconnu est saturé de sens.
Les fragments qui se succèdent, au lieu de renvoyer chacun à l’incomplétude de ce qu’ils donnent à voir -condition de réussite dans ce genre d’entreprise- circonscrivent au contraire d’emblée les thèmes qui font la matière du film. L’éclatement du récit ne se justifie pas, car c’est un faux hasard qui agence et colle les différentes pièces. Dès la première image -cette enfant sourde-muette mimant l’effroi à ses camarades qui ne devinent pas l’émotion qu’elle joue, dès la première situation -Anne/Juliette Binoche, comédienne qui calme dans la rue un jeune garçon en colère pour une raison qui nous échappe encore-, et pendant tout le film, on sent chez Haneke le poids mort des intentions, la volonté lourde d’asséner quelques vérités fortes sur l’époque : l’indifférence pour le malheur des autres, la persistance des préjugés, la violence vécue aussi douloureuse que la violence symbolique, etc.
Ce qui manque ici au cinéaste autrichien, c’est une forme pour saisir ses questionnements, une distance vis-à-vis de ce qu’il montre qui aiderait le film à sortir d’un discours convenu sur l’époque, englué dans les bons sentiments. On préférait quand Haneke nous tapait sur les doigts.