Depuis qu’Ingmar Bergman a délaissé le cinéma –Fanny et Alexandre, son dernier film tourné pour le grand écran date de 1982-, il s’est consacré à la télévision (Après la répétition, En présence du clown) et à l’écriture de scénarios destinés à ses proches, dont Bille August (Les Meilleures Intentions) et son fils Daniel (Les Enfants du dimanche). Infidèle est le deuxième script qu’il confie aux soins de son ancienne interprète et compagne Liv Ullmann, après Les Confessions, présenté à Cannes en 1997 dans la section Un certain regard. La comédienne a, quant à elle, débuté dans la réalisation quatre ans plus tôt avec Sofie, qui suivait les traces de nombreux collaborateurs du maître, parmi lesquels son chef-opérateur Sven Nykvist et deux de ses acteurs fétiches, Erland Josephson et Max von Sydow. A croire qu’il est difficile de transiter par la sphère bergmanienne sans être contaminé par le démon de la mise en scène ou du moins s’interroger sur la responsabilité de l’artiste, question qui circule de façon sous-jacente à travers cette œuvre qui, il faut l’admettre d’emblée, existe principalement par l’apport dramatique et spirituel de son scénariste.

Infidèle est bergmanien dans la mesure où il brasse des thématiques inhérentes au cinéaste et qui ont traversé tous ses films : la solitude du créateur et la difficulté d’être un couple -pour n’en citer que deux-, thématiques qui furent, en leur temps, de façon culminante, à l’origine respectivement des Fraises sauvages et vingt-six ans plus tard de Scènes de la vie conjugale.La présence spectrale d’Ingmar Bergman règne sur le film de manière plus directe encore puisque le personnage de l’écrivain reclus vivant sur une île isolée et confronté aux fautes de son passé par l’intermédiaire du fantôme de sa maîtresse de jadis est inspiré par lui et incarné par son alter ego cinématographique, Erland Josephson. Au fil des visites de cette morte, autrefois chérie puis abandonnée, se déroule le récit d’une infidélité conjugale, d’un amour illégitime et surtout d’une double douleur au féminin, celle d’une mère (Lena André, époustouflante) et, à l’arrière-plan, celle de sa fille, déchirée par des choix d’adultes qui lui échappent. Si le sujet évoque la période 1970 de Bergman (le divorce, l’évolution de la condition féminine et ses conséquences sur le couple), il échappe à la désuétude grâce à un traitement rigoureux et à une étude en profondeur de la figure centrale du film, Marianne, comédienne de théâtre qui quitte un mari chef d’orchestre pour un metteur en scène dramatique.

Infidèle prend son temps et s’égare quelque peu (l’intermède parisien ne présente guère d’intérêt) mais gagne progressivement en densité pour acquérir en fin de parcours une réelle intensité émotionnelle. Liv Ullmann, elle, semble concentrer son énergie sur la direction d’acteurs et opte pour une sobriété quasi théâtrale dans les scènes d’intérieur. Son travail pèche par le peu de cas qu’elle fait du cadre et surtout du son, fort maladroitement utilisé, notamment dans les rares échappées extérieures. Mais ces quelques lacunes n’empêchent pas le film d’exister dans la mesure où l’effacement de la mise en scène permet au drame intérieur de se révéler et de prendre de l’ampleur, sans qu’aucun effet de style ne vienne court-circuiter le propos. Cette modestie sied à une entreprise qui, portant de toute façon le sceau indélébile de Bergman, n’aurait pu s’épanouir sans la discrétion de celle qui sert de relais à sa pensée et à sa parole. Infidèle n’est peut-être alors que la réverbération de ce qu’il aurait été, mené à bien par son auteur, mais c’est une réverbération porteuse et riche qu’il ne faudrait nullement sous-estimer.