Réalisé un an avant Tigre et dragon, Chevauchée avec le diable sort enfin en salles chez nous. L’occasion d’apprécier rétrospectivement les multiples facettes de Ang Lee, cinéaste passé maître dans l’art de la récupération hollywoodienne, auteur inégal revisitant avec un indéniable brio les genres très codés que sont le wu xia pian (film de sabre) et, ici, le film de guerre épique. Il est d’ailleurs amusant de voir comment un artiste d’origine taïwanaise (mais installé aux Etats-Unis depuis 25 ans) s’approprie tout un pan de l’Histoire américaine en se plaçant côté de l’ennemi. Chevauchée avec le diable : le titre annonce la couleur, et pour retracer un certain moment de la Guerre de Sécession, Ang Lee colle aux basques des Sudistes, ou plutôt des Bushwackers, commandos indépendants combattant les Yankees en petits groupes isolés, jeunes héros soumis à un conflit civil qui les dépasse.

Les raisons qui poussent Jake Roedel (Tobey Maguire) et Jack Bull (Skeet Ulrich) à rejoindre les pro-esclavagisme sont simples : les deux amis ont grandi ensemble, élevés selon des principes qu’ils n’ont jamais mis en doute. Le film de Ang Lee parle donc essentiellement du tiraillement entre éducation et raisonnement propre, instinct de protection (notamment par rapport au valeurs familiales) et maturité perturbante, déni de l’Autre (de l’Etranger, justement) et expérience du Monde. Esclave noir dévoué à la cause de son maître, Daniel Holt (Jeffrey Wright) est le personnage du paradoxe par excellence, puisque sa profonde amitié pour un homme du Sud le pousse à lutter contre les conquérants de sa propre liberté.

A l’instar de Tigre et dragon, et de façon peut-être encore plus accomplie, les bouleversements intimes coïncident avec la grandeur du spectacle et du romanesque. Un mariage intense et souvent émouvant, car si Ang Lee ne bouscule pas vraiment les lois du genre, il les applique avec une rare puissance de mise en scène, parvenant à un lyrisme de tous les instants, au sein du mouvement guerrier (une poursuite à cheval, un affrontement sanglant) comme de la destinée identitaire ou amoureuse (la romance entre Tobey Maguire et l’étonnante chanteuse Jewel qui fait ici ses débuts d’actrice). Ainsi, derrière les assauts meurtriers ou les idylles bucoliques gronde toujours le même bouillonnement intérieur.