Annoncée comme l’événement de ce printemps, la sortie en salles d’une version allongée d’Apocalypse now pourrait laisser croire à une énième exploitation du label « Director’s cut » très en vogue en ce moment. Pourtant, avec 53 minutes de film en plus, on est loin des « rajouts gadget » destinés aux fans ou à l’exploitation mercantile de classiques cultes (voir le succès de la version 2001 de L’Exorciste). Contraint à l’époque de réduire son film, Francis Coppola avait en tête une épopée beaucoup plus longue que celle présentée au public en 1979. Apocalypse now Redux nous permet donc de cerner un peu mieux l’ambition et la démesure du projet originel du cinéaste.

Parmi les scènes qui ont été ajoutées, trois grands moments se dégagent et sont volontairement approfondis : l’épisode avec le capitaine -fan de surf- Kilgore, une séquence où la troupe de Willard fait plus ample connaissance avec les playmates de la base, enfin, un intermède dans une plantation coloniale française qui dure pas moins de 25 minutes et avait été complètement coupé lors du montage de 79. Chacun de ces rajouts accentue le sentiment d’étrangeté et d’absurde qui régnait déjà dans la première version. Une impression qui culmine dans une scène de repas dans la plantation française filmée avec le grotesque d’un Zulawski et son penchant pour transformer une communauté humaine en bestiaire. Coppola aurait par contre pu se passer de l’idylle entre Willard et Roxanne même si elle est l’occasion de découvrir la plastique juvénile d’Aurore Clément. Plutôt cliché et très mal dialoguée, cette soudaine irruption de l’érotique ne fait qu’alourdir le propos de Coppola sur la dualité de l’âme humaine. C’est d’ailleurs une remarque que l’on pourrait étendre à l’ensemble d’Apocalypse now Redux. Si l’on apprécie cette plongée au cœur du travail de Coppola, celle-ci ne saurait en aucun cas remplacer la version raccourcie, plus rythmée et moins didactique. Les digressions supplémentaires qui écartent Willard de sa route ont surtout pour effet de casser le tempo de ce crescendo vers l’horreur, sans vraiment y introduire une réflexion nouvelle.

Reste alors la beauté de ce brûlot contre la guerre du Vietnam transcendé par Coppola en un long poème mythologique sur la nature contrastée de l’homme. A ceux qui auraient découvert Apocalypse now en vidéo, on ne saurait trop conseiller de le voir prendre toute son ampleur sur grand écran. Bénéficiant d’un relookage visuel qui améliore les nuances (les scènes de nuits sont nettement plus lisibles) et d’une restauration de la bande son qui rend les dialogues plus distincts dans les combats, la version 2001 fait honneur au travail de plasticien minutieux de Coppola. Définitivement, le chef d’oeuvre du cinéaste…