Un vieux Monsieur normal

Entendu en terrasse, vers midi :
« Et toi, t’en as vu des stars aujourd’hui ? »
« Oui, j’ai vu Antoine de Caunes et Claude Lelouch. Mais Claude Lelouch j’ai failli pas le reconnaître, il ressemble à un vieux Monsieur normal ».

Une bouche de vieille dame (Maiwenn-1)

Au grand concours hebdomadaire de l’indignation collective, Maiwenn faisait la semaine dernière une performance remarquée avec cette punchline 100% allégée en surmoi : « réalisateur est un métier qui fait appel aux hormones masculines ». De fait, la formule est discutable mais, brandie par une femme, l’image n’est pas absurde, à condition de ne pas oublier que les hommes n’ont pas le monopole des hormones mâles. Pas sûr qu’on ferait offense à Ida Lupino ou Kathryn Bigelow en diagnostiquant dans leurs films un taux élevé de testostérone. La question de la place des femmes à Cannes, on y revient donc, comme il y a quatre ans où cohabitaient déjà les films de Maiwenn et de Valérie Donzelli. Polisse et La guerre est déclarée avaient aussi en commun de s’offrir, plus ou moins délibérément, comme d’intéressants documents sur l’hystérie. Côté Maiwenn : une hystérie thématisée de film en film, volontiers sur le mode de l’autodérision (c’était grosso modo le sujet du Bal des actrices). Côté Donzelli : l’hystérie comme carburant des films, où, dès La reine des pommes, il s’agit de se faire aimer en se mettant à poil – généralement au sens figuré. On verra demain où en est Donzelli, avec Marguerite et Julien. Maïwenn, elle, prend une direction inattendue. D’abord en livrant un film, Mon roi, plus maîtrisé que le précédent, toujours loin du chef d’œuvre mais relativement réussi. Ensuite en inversant la donne : ici, l’hystérique, c’est l’homme. C’est-à-dire Vincent Cassel (très bien), dont le personnage est un cas flagrant d’hystérie masculine. Face à lui, la femme (Emmanuelle Bercot, très bien aussi) est victime de sa fascination pour l’ogre séducteur, ce roi qui la fait souffrir toujours plus. Une scène édifiante, au début du film, résume tout. Après l’amour, Bercot s’inquiète de savoir si Cassel n’a pas trouvé son sexe trop large. Mais non mais non, répond Cassel : ta chatte est comme une bouche, « mais sans dents, une bouche de vieille dame ». Autant dire : un vagin édenté.
JM

Un canapé Roche Bobois (Maiwenn-2)

Une chose, en revanche, ne change pas : faisant ici ses gammes dans le portrait de couple au long cours, et fertilisant son casting avec de vraies graines de cinéma d’auteur (Louis Garrel et Laëtitia Dosch, dans le fond), Maiwenn aimerait toujours autant plaire aux Inrocks et à Libé – elle en formulait le souhait littéralement dans Le bal des actrices, au début duquel on la voyait, en outre, lire fébrilement les Cahiers. À en juger par les impressions recueillies ce matin, c’est loin d’être gagné. Qu’est-ce qui ne passe pas, chez Maiwenn (hormis sa grande bouche quaerens quem devoret et peu prudente en interview), et lui vaut une telle animosité ? Certes, son film a des défauts nombreux, à commencer par sa manière de ramasser souvent son ambition naturaliste en petites bulles de clichés publicitaires. Or quand on lui reproche de faire du Pialat recalibré par la télé, on oublie que le cinéma de Kechiche (qui est évidemment beaucoup plus cinéaste) n’est lui-même pas toujours innocent de cette tendance. Sur le terrain qu’occupe désormais Maiwenn, celui du cinéma d’auteur grand public, Mon roi n’a rien de honteux. Et il faut bien dire que la proverbiale naïveté de Maiwenn l’autorise, ici et là, à réussir de belles scènes, d’une frontalité désarmante. Tout comme il faut admettre, par ailleurs, que si ce cinéma a un potentiel populaire (2,3 millions d’entrées pour Polisse), c’est entre autre parce qu’à travers les goûts de Maiwenn, il ne tourne pas le dos à la « société d’aujourd’hui ». C’est d’ailleurs peut-être bien ce qui pose problème – les goûts de Maiwenn, le kitsch décomplexé et volontiers vulgaire de son imaginaire. Par exemple le fait que, dans Mon roi, la passion de l’héroïne soit dirigée à l’endroit d’un nouveau riche / néo beauf dont l’appartement luxueux ressemble à un lookbook Roche Bobois. Or la critique dont Maiwenn rêve les faveurs a tendance à supporter mieux le populaire quand il est camouflé, ou bien sous la casquette du working class hero, ou bien dans le blouson du « pop ». Et, de préférence, avec une bouche ni trop grande ni trop dentée.
JM

Un album photo

On aurait presque pu écrire sur Carol sans le voir, en listant simplement les écueils rencontrés généralement par les actuels films ou séries situés dans les fifties américaine : films de costumiers, films à gros sujet où se lit trop clairement l’écho du contemporain, kilos de chantilly vaporisés sur le regard d’une héroïne triste. Presque, parce que si le film de Todd Haynes ne contourne pas vraiment ces écueils, il y puise une certaine beauté. Carol est un cas-limite de ce cinéma photographié qui donne toujours l’impression de feuilleter un best-of des clichés des grands photographes de l’époque. Cette fétichisation, Todd Haynes en est l’inégal spécialiste, depuis les seventies de Velvet Goldmine jusqu’aux décennies traversées par le Dylan de I’m not there, à la série Mildred Pierce ou, évidemment, à Loin du paradis. Le film narre l’histoire de Carol qui, en plein divorce, risque de perdre la garde de sa fille en raison d’un comportement « immoral » : elle aime les femmes. Carol rencontre Therese, vendeuse de jouets dans un grand magasin. Le film se déploie alors comme l’histoire d’un regard fasciné (celui de Rooney Mara) par un visage placide sous lequel sourd une tristesse infinie. D’ailleurs, comment Therese occupe-t-elle ses heures perdues ? En faisant des photos. On retrouve là la Rooney Mara de Millenium : animal solitaire et marginalisé, bombe d’amour enfantin qui menace d’exploser sur la proie qu’elle s’est trouvée – et qui a remplacé ici la geekerie par la photographie comme rapport au monde et à l’être aimé. Toute la beauté du film tient ainsi dans la façon qu’a Haynes de pousser ce cinéma photographié jusqu’à une certaine conscience de lui-même : c’est l’histoire d’un œil de photographe traversant un monde en papier glacé, que Haynes ne cesse de filmer à travers des vitres. Carol joue alors d’un conflit entre la froideur de Blanchett et le regard mouillé de Mara, la peau neigeuse et immaculé de l’une et celle, émotive et rougie par l’émotion, de l’autre – au point que les plans surcadrés de Haynes finissent littéralement par trembler d’émotion dans la toute dernière scène. Le film aurait dû s’appeler : Thérèse.
MJ

Un diptyque JCF

À Cannes, les films surgissent en trombe pour disparaitre aussitôt, au point qu’ils semblent sortir les uns des autres, jusqu’à créer entre eux de troublants raccords : le tintamarre d’un carnaval de ferraille se perpétue en échos entre les murs d’un camp de la mort (Mad Max Fury Road, Le Fils de Saul), une bedaine rebondie vient pareillement éteindre le sex-appeal d’un acteur américain BG (The Lobster, Irrational Man). Hier, c’est le Jeune Cinéma Français qui se tenait le miroir, avec un diptyque tout en sueur et en métaphysique. Avec sa paranoïa post-traumatique, le militaire-bodyguard de Maryland (Alice Winocour) semble ainsi porter les stigmates psychologiques du chef de troupe de Ni le ciel ni la terre (Clément Cogitore). D’autant que les films ont la même façon d’inviter le genre US à la table du cinéma d’auteur français s’inscrivant tous deux sous le parrainage direct de John Carpenter (Clément Cogitore télescope la trame surnaturelle de The Thing dans les montagnes afghanes, Alice Winocour reconfigure celle d’Assaut dans la villa d’un millionnaire). Mais ce dytique est surtout l’occasion de constater qu’avec le JCF, la frontière entre le pire et le meilleur est très fine. Après Augustine, le nouveau projet de Winocour avait de quoi nourrir une certaine curiosité, mais son idée de polar semble avoir germé au carrefour d’un atelier scénario dirigé par Nicolas Boukhrief et d’une soirée au Social Club. Résultat de ce mauvais lendemain de fête : un téléfilm french touch atone, bodybuildé par la techno prétentieuse de Gesaffelstein. Et une interrogation : pourquoi passer son temps à bander les muscles si c’est pour désamorcer constamment le potentiel de son pitch, au point de mettre 1h40 à illustrer ce qu’une série B américaine réglerait en 10 min ? Le cas Clément Cogitore est plus indécis, parce qu’il s’agit ici d’un premier film, que celui-ci surprend tout en ne remplissant son contrat que partiellement, et que ses défauts (nombreux) semblent inséparables des qualités qui font de ce coup d’essai un objet passionnant, à la fois aride et grumeleux. Ni le ciel ni la terre est lui aussi le récit d’un siège, sauf qu’ici l’assiégeant ne s’exprime pas à coups de tuning Ed Banger mais revêt les multiples visages de l’autre — est-ce Al Qaïda ? est-ce ET ? est-ce Allah ? On sent que le réalisateur a bien bossé son scénario (peut-être un peu trop, le nom de Thomas Bidegain au générique n’étant peut-être pas étranger à cet excédent de métier). Si la recette ne manque pas de méthode, si les ingrédients sont tous là, la pâte de cette Carpenter-pie a parfois du mal à se lever. Il faut dire que son titre “ni-ni” annonçait la couleur : à trop vouloir négocier entre la terre et le ciel, la physique et la métaphysique, le film finit lui-aussi par tourner autour de son potentiel sans l’exploiter vraiment. Mais à quelque chose malheur est toujours bon, et il suffira peut-être à Cogitore de pousser les portes de Maryland pour faire le compte de tout ce qu’il ne faudra pas faire au moment de passer le cap du deuxième film.
LB

Une drôle d’odeur

Personne ne le dit, tout le monde le sent : parfois, le Palais Stéphanie pue. Le faute à une salle un peu étriquée, où s’entassent des festivaliers encore ruisselants de leur marathon Palais – McDo – Quinzaine. Cela dit, devant Green Room, de Jeremie Saulnier, ce n’est pas nécessairement un mal : son précédent film, Blue Ruin, présenté au même endroit l’an dernier, avait de nombreuses qualités mais le défaut peut-être de sentir un peu trop le propre. Saulnier y privait délibérément sa chronique rustique des remugles d’Americana attendus généralement dans la série B sudiste, au risque d’enfermer sa vision dans un cocon minimaliste et inodore. On aurait pu croire, d’ailleurs, que Saulnier allait perdurer dans cette veine-là en vue de rejoindre le Palais des festivals, et tenter ainsi de suivre vaille que vaille les traces de Jeff Nichols. Mais en sautant à pieds joints dans le gore canaille, Green Room préfère rester là où on s’autorise encore à puer un peu, et l’assume cette fois-ci pleinement. Le dispositif de Blue Ruin revient (deux Amériques s’écharpent à nouveau, celle de l’average Joe grisou et celle des rednecks pur sucre), mais en s’intégrant à une sournoise machinerie Grand-Guignol. Un groupe de gentils punks falots s’en va jouer sur la scène d’un club perdu en Virginie, dangereux repère à brutes white power : promesse d’une collision salissante, que Saulnier tient au-delà de toute espérance en dispersant ses petits ploucs excités dans des loges, coulisses et sous-sols changés en chambres de tortures. Trahissant le huis-clos survivaliste habituel, le film s’amuse à noyer toute chance de prendre parti. Qui, de la punkette écervelée et du skinhead fruste, emportera le morceau ? Peu importe, au fond, parce que tous finissent indifférenciés dans un jeu de massacre orgiaque, exaltation de chair en charpie, d’os à nu, de lambeaux ruisselants : pas d’empathie pour ces punks sans saveur. Leur leader part au clash avec un bras rafistolé au chatterton, pantin qui s’enhardit à mesure que son corps se démantibule. Tiens, c’était déjà le cas du vengeur pataud de Blue Ruin.
YS

Un Phil Cabrel

Traducteur, c’est un beau métier, qui demande beaucoup d’ingéniosité. Par exemple, comment s’y prend-on, quand on a la charge des sous-titres du dernier Maiwenn, pour traduire une vanne qui fait référence à Francis Cabrel ? Facile: on traduit par : « Phil Collins ». Mais du coup, question : est-ce que c’est Francis Cabrel qui est le Phil Collins d’Astaffort ? Ou Phil Collins qui est le Francis Cabrel grand-breton ?

Chronic’art recrute (épisode 4)

Coup de théâtre. Jean-Marc et Philippe, qui rivalisaient sur le podium depuis deux jours, se font doubler à la corde par le Figaro. Un grand bravo à Eric.

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