Juste un mot sur le Gus Van Sant

(Sea of trees, Sélection officielle)

Des moustaches communardes

Axiome : on ne peut pas et porter un corset 1871 et débiter ses répliques avec l’accent des ZEP. Adèle Exarchopoulos défie pourtant les lois de la physique dans Les Anarchistes, en composant une communarde pugnace dont le phrasé marie la langue de Jules Vallès avec le flow du périph’ extérieur Nord. C’est tout le problème des Anarchistes, d’Elie Wajeman, qui jette dans le grand saladier de l’histoire de France des acteurs enjoints à faire vibrer le langage, la gestuelle et les moustaches (de Tahar Rahim, le seul à tirer son épingle du jeu). Claquemurées à l’intérieur de plans serrés grossièrement aménagés pour ces performances outrées, les belles gueules d’Adèle, Rahim ou Cédric Kahn finissent par se fondre dans ce qui évoque moins un film qu’un bal costumé organisé au Fouquet’s par l’Académie des César.
YS

Une envie de latin

Surprise du jour : un opposant à la réforme du collège s’est glissé en Sélection Officielle. Avec Mia Madre, Moretti rappelle avec douceur que l’apprentissage du latin ouvre un vade mecum pour la vie. Celui qui vous permet de débrouiller l’écheveau foutraque des relations humaines en lui imposant quelques exercices d’ « analyse logique ». C’est, peu ou prou, ce que la mère de Margherita finit par formuler alors que la vie la quitte progressivement. Conseil avisé que sa fille serait inspirée d’entendre, au moment où Moretti la saisit en pleine crise professionnelle et sentimentale. Comme son appartement, la vie de cette réalisatrice prend l’eau, une eau dont les derniers flots ondoient dans le regard embué de son interprète, la délicieuse Margherita Buy. En réalisant ce beau portrait de femme, Moretti déploie un art équilibré du mélo bienveillant, appuyé sur deux qualités essentielles de son cinéma. D’abord, la délicatesse de son regard qui voit en chacun le fond de bonté qui l’anime. Ensuite, cette science affinée du portrait qui lui permet de faire exister n’importe quel personnage secondaire le temps d’un seul plan. Du coup, le film offre à tous le droit de traverser la vie en écartant les voiles de souffrance. Dans la salle où il était projeté, le dernier plan a emporté les spectateurs dans une vague de larmes et d’envie de latin. Najat Vallaud Belkacem est donc prévenue.
GO

Un scoop

Arnaud Desplechin adore le Coca Life.
(plus de détails dans l’entretien fleuve réalisée par Murielle Joudet, en ligne mercredi prochain)

Une famille en or

À quelques centaines de mètres du bunker où se défient les bulldozers du cinéma d’auteur international, un petit havre de paix invite quotidiennement le spectateur à poser les yeux sur des oeuvres plus chétives, qui auraient bien du mal à se faire entendre au milieu du ramdam. C’est l’ACID, petite vitrine où s’exposent une dizaine de films parfois orphelins de distributeurs. Par exemple : Pauline s’arrache, croisement réussi entre un bon épisode de Confessions intimes et les home movies de Jonathan Caouette. Le documentaire d’Emilie Brisavoine est une plongée pixellisée dans l’intimité turbulente d’une famille baroque (un père travesti, une mère exhib, une ado pleine de sève) : le foyer y est un champ de bataille à la promiscuité étouffante, un grand désordre d’affects et de ressentiments où l’harmonie ne tient chaque fois qu’à un fil d’amour. Alternant zone de turbulences et phase d’accalmie, le film débouche sur une grande psychanalyse collective — certes, aussi volontariste qu’attendue, mais qui à force d’entêtement, libère les forces émotionnelles que la jeune réalisatrice s’était contentée de séquestrer dans son cadre. Ainsi va Cannes, où toute histoire de famille ne peut que se rêver en odyssée.
LB

Le meilleur pitch du festival

« Après avoir assisté à un acte de violence horrible, un jeune groupe de punk rock se retrouve piégé dans un lieu isolé. Pour survivre, ils vont devoir lutter contre une bande de skinheads bien décidés à éliminer tous les témoins »
(Green room, Jeremie Saulnier, projeté demain à la Quinzaine des réalisateurs)

Un Shéhérazade portugais

Arrivée sur la Croisette, Shéhérazade s’est défait de ses atours de belle Persane pour endosser le costume de Miguel Gomes, réalisateur de films lusophones estimés. Retrouvant la formule de Ce Cher mois d’août, après un Tabou qui ne nous avait guère impressionnés, le film déploie ses fables gigognes dans le Portugal de l’austérité et du chômage. Soit, dans ce qui n’est que la première partie de cette œuvre fleuve, trois récits principaux tour à tour extravagants, délicatement chimériques et émouvants pour écouter les voix d’un pays brisé par la fatigue sociale, en tournant le pavillon vers les puissances de l’imaginaire. Si, comme l’indique un des premiers cartons du film, ces Mille et une nuits ne doivent donc rien au recueil de contes orientaux du même nom, reste que son rythme de projection lui emprunte sa ruse. En n’ayant vu que la première partie d’un film qui en compte trois, le critique se voit contraint de suspendre son jugement dans l’attente de découvrir la suite. Et de savoir jusqu’à quel point le film atteint l’ampleur foisonnante qu’il semble promettre.
GO

Un homard

Le homard, c’est Colin Farrell, qui est excellent dans The Lobster où il ressemble plutôt à un gros chien triste. Le pitch : dans un futur proche, les célibataires sont pourchassés, et transférés dans un hôtel spécialisé où on leur laisse 45 jours pour trouver l’âme sœur, faute de quoi ils seront transformés en un animal de leur choix. Ce pitch zinzin suscitait une attente légitime, redoublée pour les admirateurs des deux premiers longs de Yorgos Lanthimos (Canine et Alps) par l’assurance de retrouver là un type assez unique de dispositif-bocal, inquiétant sur le papier mais en définitive étonnamment fin et percutant. Ce qu’est The lobster, qui relance en effet toutes les marottes des deux précédents : concept global transformé en boîte à allégories (ici, très lisiblement, quelque chose comme l’idéologie contemporaine du couple), passion pour les rituels punitifs hardcore (Salò et les 120 journées de Sodome revisité en burlesque glacé), rythme à la fois flapi et très ciselé. De quoi faire peur à chaque fois, donc, sauf que The lobster, à nouveau, séduit par sa manière de bricoler avec tout ça un programme joyeusement inventif, pour faire progresser ses idées sur le plateau d’une sorte de grand jeu de société maboul. En s’abandonnant sans remords à cette obstination, Lanthimos prend le risque de lasser (d’ailleurs beaucoup s’en plaignent), mais n’en sculpte pas moins, avec un brio indéniable, les contours de son inspiration.
JM

Un Oumar (Chronic’art recrute, troisième)

Et c’est encore Philippe qui prend la tête de notre opération de recrutement. Bravo à lui et à Oumar, mais attention au surrégime.

Tous les résultats ici :
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