Bonjour.

Bird People – Pascale Ferran
Ouh là. Grand moment d’embarras. On prendra le temps d’ici deux semaines, quand ce phoenix aura atterri dans les salles, de détailler la consternation qu’il nous inspire. Mais par souci d’honnêteté, précisons d’emblée une chose au sujet de cette triple déroute (pour Pascal Ferran, pour le cinéma français de sa génération, pour l’ornithologie) : le film ne devient véritablement grotesque que dans son dernier tiers. Avant cela, il n’est que nul – mais alors vraiment, le néant total. Que le film soit double (c’est-à-dire coupé en deux dans un élan d’une ébouriffante modernité), Ferran le signale d’emblée et avec une ahurissante prétention dans le dossier de presse, qu’elle inaugure avec une définition du mot « hybride » trouvée dans le Petit Robert. Exemple : « Une œuvre hybride ». Elle est comme ça, Pascale Ferran, elle aime bien mâcher le travail des critiques, juste pour rendre service. Au passage, elle a une requête, bien légitime : que les critiques ne disent mot de la nature de ce virage stupéfiant que prend le film en fin de vol. Ça a l’air un peu autoritaire comme ça, mais pour qu’on comprenne bien que ça reste à la bonne franquette, elle précise finalement : « Jusqu’ici le film nous appartenait. A partir du moment où vous l’aurez vu, il sera à vous. Faites-en le meilleur usage ». C’est très gentil Pascale, mais justement c’est au niveau de l’usage qu’on est embêté : qu’est-ce qu’on est censé faire de ce machin ? Sans rien dire, donc, de ce basculement du film dans la quatrième dimension des idées mongolos (sinon que le ridicule de l’affaire est moins dans l’idée elle-même que dans l’ajout d’une voix off surréaliste), précisons juste que la clef de ce film bicéphale est dans le titre, mais à l’envers : d’abord, les gens (= people), ensuite les oiseaux (= bird), sachant bien sûr qu’entre les deux ça « communique », comme on dit. Du côté des gens, cela donne le premier film, qui semble avoir été réalisé par une étudiante Femis cryogénisée au milieu des années 80, et se réveillant trente ans plus tard dans un monde interconnecté pour faire le compte-rendu sociologique de ses découvertes. Parmi de nombreux scoops, on y a apprendra : que quand les gens prennent le RER ils se parlent tout seuls dans leur tête sans dire bonjour à leur voisin de siège ; qu’avec tous ces nouveaux moyens de communication, eh ben en fait les gens sont très seuls ; qu’un avion qui décolle c’est très joli et que les aéroports forment une idéale métaphore du monde à l’heure des réseaux ; qu’avec tous ces flux et toute cette vitesse, des fois on a envie de tout arrêter, et de s’envoler comme dans une chanson de Michel Fugain. Reste la partie Bird, au sujet de laquelle on respectera le contrat. Disons seulement qu’en matière d’expérimentation animalière, on est moins près d’Apichatpong Weerasethakul que de Saturnin le canard.
Jérôme Momcilovic

Lost River – Ryan Gosling
Fin du suspense : Ryan Gosling n’est pas un cinéaste. C’est un enfant avec de gros jouets. A son dernier Noël, il a d’abord reçu un Macbook pro sur lequel il a découvert des photographies de maisons en ruines. Son conseiller fiscal lui a expliqué que c’était dû à la crise des subprimes et que des pauvres gens étaient jetés à la rue. Comme c’est un garçon sensible, il s’est dit que ça ferait un bon film, mais à la sauce The Mickey Mouse Club, avec des légendes noires, des monstres et des princesses malheureuses. Le lendemain, il a reçu le coffret blu-ray des films de Terrence Malick : les quelques extraits qu’il a pu voir l’ont impressionné au point de lui donner l’envie de tourner un film au grand angle, entre chien et loup, avec des vrais morceaux de pauvres dedans. On lui a donc aussi livré quelques indigents qui traînaient dans la rue, fournis avec leurs vêtements usés. Ryan était si heureux que son cœur a bondi dans la poitrine. Pendant la préparation, son parrain Nicolas Winding Refn lui a aussi acheté une trousse de coloriage, la même qu’il utilise pour ses films. Ryan, ivre de joie, a renversé les pots sur le décor, saturant les murs d’éclats monochromes comme Nicolas aime à le faire. Un peu espiègle, et par goût de l’interdit, il a aussi volé les couteaux de cuisine de ce grand Danois fou pour s’en servir dans un atelier découpage et charcuterie. La production était horrifiée, mais c’est Ryan, on ne peut rien lui refuser. Enfin, comme il s’ennuyait pendant le montage, on lui a offert un clavier Bontempi qui sortait des sons si magiques qu’il a voulu inonder tout le film de musique. Résultat des courses : à la fin de la projection, on rêve brièvement de film autrichien comme d’un grand bain glacé. C’est dire.
Guillaume Orignac

Still The Water – Naomi Kawase
C’est gentil à Thierry Frémaux d’avoir eu une pensée pour nos muscles engourdis par les allers-retours sur la Croisette et par les open bars, et de nous avoir convié à cette cure thermale express. Il faut que j’avoue une chose : je n’avais, jusqu’ici, jamais vu aucun film de Naomi Kawase. Il y a des cinéastes comme ça dont on loupe les débuts, et qui développent une œuvre dont la cohérence semble telle qu’à chaque nouveau film, on hésite à monter dans le train, faute de connaître les premiers wagons. Ce film en tout cas est en tout point conforme à l’idée que j’avais pu me faire du cinéma de Kawase, sur son versant, disons, thématique. Encore que je ne m’attendais pas à ce que ce fût aussi new age que ça – en fermant les yeux j’ai eu l’impression deux-trois fois de m’être égaré dans une séance collective de sophrologie. Le film, qui se présente comme une méditation sur la mort, au bord de l’océan, souffre, et c’est peu de le dire, d’être un poil insistant (dans ses dialogues, surtout) quant au panthéisme dont il fait son moteur. Cela donne lieu parfois à des dialogues croquignolets, qui suggèrent qu’on a affaire à une sorte de film pédagogique sur le Japon destiné à de touts petits enfants – d’ailleurs le film a parfois, pour différentes raisons, des airs de Totoro sans Totoro. Cette naïveté-là n’émeut guère, elle a plutôt tendance à accabler. Mais il faut reconnaître à Kawase une mise en scène parfois réellement inspirée, un art des coupes très délicat, et quelques moments d’une grande puissance – les tempêtes sur l’océan, réduites à l’image de rouleaux furieux s’écrasant dans un fracas sourd et comme venu du centre de la Terre.
JM

Queen and Country – John Boorman
Difficile de ne pas avoir l’impression d’être face à une petite chose, quand on aime justement chez Boorman sa propension à délirer les échelles, à planer à trente mille pieds au-dessus du récit façon Zardoz. D’autant que le chemin est ici balisé : comme promis, Queen and Country prend tranquillement la suite de Hope and Glory, comme si 27 ans ne séparaient pas les deux volets. Boorman se fait à la fois classique et un peu désinvolte, n’épargnant aucun gag au portrait de de sa jeunesse militaire. Il faudra donc guetter, ici et là, l’élégance anglaise du vieux maître tirant sa révérence. Queen and Country s’avance humblement, à l’évidence, comme chant du cygne. Pas seulement parce que son sujet se loge dans les péripéties de l’âge d’homme – presque un cliché en matières d’adieux. Mais aussi parce que Boorman bricole sa mise en scène comme s’il abordait un genre en soi : le dernier film. Avec ce filmage modeste, au teint pâlichon qui rappelle celui de La Danza de la realidad à la Quinzaine l’an passé (le dernier Jodorowsky), Queen and Country rejoint le club des petits mélos plus ou moins éteints, qui servent de testaments à plusieurs pontes sur le retour (le film rappelle aussi, singulièrement, Le Vent se lève de Miyazaki). D’où viennent ces étranges points communs ? Ce n’est pas sorcier : ce que nous souffle Queen and Country, c’est qu’une vie de cinéaste ne tient jamais qu’à l’émulsion d’un amour et d’une marotte dévorante. Du petit manège burlesque de l’armée, dans lequel s’enlise notre troufion, aux caresses contre les poitrines des jolies filles, Boorman raconte la même quête d’absolu, les mêmes fiascos piteux, et prononce la même oraison pour deux défunts : la fougue amoureuse, et le celluloïd dont la rotation stoppe net, pour toujours, au terme d’un très bel épilogue.
Yal Sadat

 

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PALME

C’est la première scène, très courte, du film. Quelque part dans le Sud des Etats-Unis, une bicoque délabrée vomit par sa porte un tout jeune enfant, qui en sort en donnant l’impression qu’il titube un peu. Le petit marmonne quelque chose, plusieurs fois, qui reste inaudible. On jurerait qu’il parle en fait dans une autre langue, qui après tout n’est peut-être que celle, toujours secrète, de l’enfance. Mais s’il émeut autant, et aussi vite, c’est qu’il paraît étranglé par des pleurs si étranges qu’on se demande s’il pleure effectivement, ou s’il rit. Ses pleurs sont étranges et lui-même a quelque chose de pas commun, un air de débile faulknérien vraiment troublant. Il se passe en tout cas quelque chose d’important, qu’il est seul à comprendre. En titubant encore, il finit par sortir du champ.
(Lost River, Ryan Gosling)
JM

 

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FACEPALM

Presque toutes les autres scènes
(Lost River, Ryan Gosling)
JM