Un side-car conduit par le musicien Ry Cooder roule dans La Havane. De part et d’autre de la rue stagnent des épaves de voitures, peinture rouillée et essieux à l’air. Là, le temps semble s’être arrêté au début des années soixante. Ce flash- back naturel est un véritable rêve de cinéaste. Pas besoin de décors, pas besoin d’accessoires, à Cuba l’ambiance transpire de chaque plan, et Wenders en profite. Si tous ses films, de Paris Texas à The End of violence accordent une place primordiale à la musique (celle de Paris Texas fut déjà composée par Ry Cooder), Buena Vista social club est en quelque sorte la « bande-image » d’un album enregistré deux ans auparavant par les plus grands musiciens cubains.
Tout commence en mars 1996, quand la maison de disques World Circuit décide d’organiser un voyage à La Havane pour faire un album. En 6 jours Buena Vista Social Club est enregistré dans les studios Egrem qui datent des années 50. Le pivot du groupe est Compay Segundo, 92 ans, musicien phare à Cuba. A ses côtés sont découverts d’autres chanteurs ou musiciens oubliés, tels Ibrahim Ferrer, crooner des années 50, ou Ruben Gonzalez, pianiste de talent né en 1919. L’album est distribué dans le monde entier, il s’en vend un million, la mode de la musique cubaine est lancée. C’est à ce moment-là que Wenders fait son apparition. Il décide de restituer cette aventure en filmant deux concerts du groupe et l’enregistrement du premier album d’Ibrahim Ferrer. C’est l’occasion d’interroger tous les musiciens avant que le groupe ne se dissolve, chacun profitant de ce soudain succès pour relancer (voire lancer…) sa carrière solo.
Le charme de Buena Vista social club (le film) est là, dans le caractère éphémère de cet orchestre inattendu et dans les confessions de ces hommes qui croyaient ne plus jamais retrouver la scène. Ibrahim Ferrer raconte que lors de l’enregistrement on est venu le chercher dans la petite échoppe où il cirait des chaussures pour gagner sa vie. Il voulait se laver, se changer au moins : il a juste eu le temps de se rincer le visage et de partir, direction les studios. Il n’avait plus chanté depuis 35 ans. Mais quelques mesures lui ont suffit pour reprendre le ton juste. A Cuba rien ne change, les hôpitaux sont délabrés, les bus en panne, les habitants désabusés… et les musiciens éternels !