Voici un film réjouissant venu d’Espagne qui, de petites actions en moments quotidiens, parvient à dépeindre un univers original et très légèrement étrange. Un coin de banlieue à la périphérie de Madrid. Des blocs d’immeubles de briques rouges posés au milieu d’un terrain vague. Et une ligne de métro pour relier le tout à une autre banlieue, un autre terrain vague. Le centre n’existe pas dans le film de Fernando Leon de Aranoa. Barrio, son deuxième long métrage, suit quelques jours de la vie de trois adolescents : Raï, Javi et Manu (tous excellents interprètes) dans cet espace sans devenir. C’est l’été, les « autres » s’entassent sur les plages de Benidorm et eux restent ici…
Toutes les actions qu’ils entreprennent pour atteindre leur but ultime, soit gagner quelque sous pour pouvoir aller à la plage -et se fondre dans la masse-, sont autant de scènes tristement burlesques. Ainsi, Manu obtient une place de livreur de pizza mais fait ses livraisons en courant, un casque de mobylette sous le bras. Raï, lui, gagne à un tirage au sort un scooter des mers qui va rester quelques temps accroché à un poteau de la cité puis disparaître comme il est arrivé.

En fait, la clef du film tient dans les dialogues. C’est par le langage, véritable soupape de sécurité, que les trois héros s’inventent à chaque instant une vie différente. Ce qui donne lieu, par exemple, à une scène magnifique où ils sont tous les trois sur une passerelle surplombant l’autoroute et jouent à se choisir une voiture. « La prochaine bleue, c’est la mienne. Ouais, une Mercedes ! », « Bon, la prochaine rouge, c’est la mienne. Merde, un tacot », etc. Mais Raï n’a pas de chance, car la circulation se tarit sur l’autoroute et ses comparses s’impatientent, il n’aura pas le temps de se choisir une voiture. S’engage alors une discussion très sérieuse avec les deux autres pour savoir s’ils lui prêteront la leur… Pour les filles, même tarif : un mannequin en carton est l’enjeu de leurs chamailleries quand leurs envies ne se cristallisent pas sur Susi, la sœur de Javi.

Effectivement, les voitures et les filles -thèmes éculés du rap de tous pays dont la bande originale du film se fait largement l’écho- est ce qui rapproche le plus ces jeunes banlieusards de leurs semblables français. Cette capacité d’étonnement sans bornes et cette imagination frétillante sont bien loin du cliché des « films de banlieue » hexagonaux qui devraient en prendre de la graine…