Après un gravissime Jésus et de pitoyables citations dans la rubrique des faits divers, Mel Gibson s’attaque aux Mayas, qui pourtant ne lui ont rien fait. On pouvait s’attendre au pire, se demander ce que ce sinistre personnage, religieux fanatique et antisémite notoire, allait leur infliger. Surprise : le pire est évité et le film, un honorable divertissement, pas plus mauvais qu’un autre. Ça tombe bien : à Mel Gibson, on ne demande rien de plus, surtout pas. L’exergue qui ouvre Apocalypto -« une grande civilisation n’est conquise de l’extérieur que si elle est détruite de l’intérieur »- inquiète pourtant : peur d’avoir affaire à une dissertation douteuse sur l’origine de la décadence qui, rapportée aux temps présents, servirait de lourde métaphore. Le film est heureusement plus simple que ça : c’est sa faiblesse, c’est aussi son garde-fou.

Le scénario est serré, maigre : un village de joviaux Mayas perdu au milieu de la jungle est ravagé par une horde de guerriers qui emmènent les habitants vers une cité où les attend un funeste sort. Le héros du film, qui a réussi à planquer femme (enceinte) et enfant (petit) dans le village, parvient à s’enfuir, avec à ses trousses quelques tueurs hargneux. Cette chasse à l’homme est la meilleure partie du film, en dépit de quelques effets très cheap (les plans caméra embarquée, impayables). Un film sur la ruse, l’intelligence des lieux où le héros, approximatif sosie de Ronaldinho, utilise les ressources de la jungle pour se camoufler, prendre ses distances avec ses assaillants, s’en débarrasser. Les gars sont un peu trop bodybuildés, la mise en scène n’a rien d’éblouissant, mais c’est efficace et ça passe. Il faut juste se coltiner les travers habituels de Gibson, son goût louche pour le gore et les bondieuseries dégénérées. Du sanguinolent, il y en a volontiers, il aime bien ça. Et du Jésus, un peu aussi : quand les villageois sont embarqués de force, ligotés à des bambous, il y en a bien un qui s’affaisse, blessé au côté droit, tandis qu’une brute, Romain de service, lui chatouille la plaie du bout de sa lance, en lui ordonnant de porter seul son fardeau.

Toutefois, on se doute bien que Mel Gibson a d’autres ambitions qu’un Rambo sauce maya. Mais curieusement, sur la décadence de l’empire Maya, il a visiblement peu de choses à dire : quelques images furtives sur les aristos lascifs assistant blasés aux sacrifices humains, le rictus attrapé au vol d’un prêtre visiblement pas dupe de l’éclipse de soleil (la ruse, toujours), lui suffisent à signaler qui en sont les responsables. Mais sur la ruse de l’histoire qui a causé la chute d’une civilisation, motus. Le long épisode dans la cité est faible, le récit bâclé, ce qui fait événement à peine perçu -ainsi la scène de l’éclipse, remake de Tintin (Le Temple du soleil), ne semble pas perturber les figurants plus que ça. A tout cela, Gibson préfère les petits jeux cruels de ses tueurs, le plaisir de la chasse à l’homme. Mais enfin il ne dit pas que l’empire Maya s’est effondré à cause des Juifs, ce qui déjà constitue un beau progrès de sa part, et en plus il réalise une moitié de survival où l’on ne s’ennuie pas : une petite bonne surprise, donc.