Cette fois c’est officiel, le cinéma américain a ressorti ses cahiers d’éducation civique. La semaine dernière, dans Rocky Balboa, une vieille baleine idéaliste regagnait sa licence de boxe en se lançant dans un exposé fiévreux qui convoquait la Déclaration d’indépendance. A l’appui de la tirade de Rocky, une formule, dont on sait combien elle est le totem indéboulonnable de l’imaginaire américain et de son cinéma : la « recherche du bonheur » (« Pursuit of happiness », en v.o.). Le rêve américain, quoi. Aujourd’hui, donc, c’est Will Smith, tout désigné par son patronyme sorti de chez Capra, qui s’y colle. Et parce qu’il n’y a pas plus bigger than life que la life elle-même, le film est « based on a true story ».

Début des années 80, Chris Gardner, représentant de commerce sérieusement fauché, se débat comme un beau diable pour nourrir sa petite famille et décroche, à l’épate, un stage non payé au sein d’une prestigieuse société de courtage. A la clef : un job dans la boîte pour l’un des vingt stagiaires en lice. Et là, patatras : irrémédiablement endetté, Gardner se retrouve à la rue avec son fiston, après que la maman, saoulée, a fini par mettre les voiles. La suite, on la connaît : à la fin, le clodo est milliardaire. Que le film ait choisi de reproduire l’époque en question (par petites touches, un discours de Reagan à la télé par ci, un Rubbik’s cube par là), cela surprend assez peu, tant sa forme, le déroulement de son récit, son obstination à n’être rien d’autre que ce qu’il est, à refuser tout second degré, à prendre le mythe populiste à pleines mains et à lorgner naïvement vers les modèles classiques du genre, tant tout cela, donc, renoue avec une frontalité très 80’s.

Du coup, on pourrait pratiquer une critique 80’s, en rester à une lecture politique : film républicain (le coup de grâce est donné à Gardner par sa feuille d’impôts), oui, et alors ? Mais de la chronique anachronique, on se passera, le film méritant d’être évalué pour ce qu’il est : un pur film de genre (la fable jeffersonienne), un gros bloc de premier degré dont il convient seulement d’éprouver l’efficacité. Alors, ça marche ? Ben oui, ça marche plutôt bien, et de ce point de vue, le film, en rythme tendu, a même des vertus très didactiques. Si l’on se demandait encore pourquoi, de toutes les mythologies sociales, ce sont celles de l’Oncle Sam qui sont le plus à l’aise avec le cinéma, A la recherche du bonheur apporte une réponse très claire : dans « Pursuit of happiness », il y a « poursuite ».

Et le mélo se double d’un quasi-film d’action, faisant plier toujours plus, sous un torrent de péripéties, le corps qui persiste à se tenir droit : Gardner décroche un entretien mais passe la nuit au poste et se pointe en loques ; Gardner a un costume propre mais se fait faucher par une voiture et perd une chaussure ; Gardner doit vendre du matos médical hi-tech pour payer le loyer mais se fait chourer la bécane (poursuite), puis la retrouve, puis se la fait rechourer (re-poursuite). Et ainsi de suite presque jusqu’à saturation, le film trouvant sa formule dans cette façon totalement décomplexée de nouer des situations à l’infini sur son canevas idéologique, et de coller aux basques de son personnage et de son obsession (voir comment la femme se fait éjecter du récit dès qu’elle fait ses valises). Réussite modeste, mais notable, donc. Et Will Smith ? Très bien, décidément.