Au départ on se demande s’il y avait urgence à exhumer un Molière dont Ariane Mnouchkine avait déjà beaucoup tiré, dans un film d’ailleurs quelque peu surestimé. Et puis Molière commence, et on comprend alors avoir affaire à un film concept : soit Molière, dont les historiens s’accordent visiblement à dire qu’il y a un trou de deux semaines dans sa biographie, trou dans lequel se sont engouffrés Tirard et son scénariste pour imaginer leur héros rencontrant les futurs personnages : déguisé en Tartuffe, le voilà embauché par un certain Monsieur Jourdain pour l’aider à séduire une dénommée Célimène. Tout le bestiaire est là, à l’exception des servantes et autres garçons de chambre, sinon une bonne totalement idiote, contresens complet de l’oeuvre de Molière chez qui ces personnages sont souvent vifs et intelligents (mais passons).

Shakespeare in love’s touch donc, avec cette idée que la vie elle-même est le meilleur terreau de l’inspiration, et plus qu’un terreau, un modèle, une répétition. On peut juger cette vision de l’art un peu naïve, très copier-coller : le théâtre comme simple réagencement des contingences terrestres -quid de l’intuition, de la licence poétique, de la capacité à saisir de loin la vérité d’une époque ? On peut aussi trouver le concept plaisant et s’amuser à identifier des phrases célèbres (« cachez ce sein… », « mais qu’allait-il donc faire dans cette galère », etc.), puisque le film tout entier marche à la reconnaissance, fond plusieurs anecdotes et personnages des pièces de Molière dans cette sorte d’espace in vitro. Au moins Tirard évite la reconstitution lourde et empesée comme l’a d’abord fait craindre l’affiche hideuse en 4×3 qui a inondé les villes pendant plusieurs semaines.

On sent bien que l’idée est souvent à deux doigts de fonctionner, que le film pourrait partir dans une embardée euphorisante. Pourtant ça ne décolle jamais vraiment parce que Tirard hésite constamment entre le sérieux (et si Molière avait réellement rencontré ses personnages durant ses deux semaines d’absence !?) et la déconne pure et simple (un festival de clins d’œil poqueliniens, de valets tout droits sortis de Peau d’âne dans un décor réaliste) sans jamais opter vraiment pour l’une ou l’autre option. On navigue entre La Folie des grandeurs de Gérard Oury, Ridicule de Patrice Leconte et le récit d’apprentissage sentimental tout à la fois léger et douloureux. Les acteurs sont à l’avenant, qui jouent parfois comme au théâtre (on n’est parfois pas très loin de la confidence hurlée, de la pochade), parfois comme au cinéma (jeu retenu, regards discrets). Le film court plusieurs lièvres à la fois, si bien qu’au bout du compte, à ne pas savoir rassembler ses morceaux hétérogènes, il souffre d’un vrai problème de style -on ne parle pas de mise en scène car il n’y en a pour ainsi dire pas.