Valse des paumés à Noël : une jeune prostituée erre dans la ville, un taxi driver lui propose un marché glauque, avant qu’une lesbienne ne la recueille sur le bord de la route et qu’un jazzman qui ne peut pas saquer Archie Shepp finisse par les croiser sous les stroboscopes. Premier film du comédien Jalil Lespert, 24 mesures condense les tics du premier film français libre dans sa tête : fantasme de refaire la Nouvelle Vague en 2007, privilégier le mood à la fiction, tirer du manque de moyens une fierté originelle. Le titre renvoie d’ailleurs à cette ode à la fulgurance cabossée, mire officielle du film. Lespert croyait que le blues se jouait en 24 mesures (au lieu de 12), mais il a gardé le titre parce que la sonorité lui plaisait et que le chiffre 24 évoquait le cinéma et Noël. Il est comme ça, Jalil.

Malaise : cette oasis de naïveté ne débouche que sur un micmac formel à amplitude de moineau. L’ouverture fait déjà peur avec un plan-séquence consacré au réveil douloureux de Lubna Azabal dont on devine par avance la progression (baffes, mains dans les cheveux, tentatives de viol et cigarette du matin). Reste Lespert et sa foi, son côté chien fou qui emmène vers la béatitude ce qui ailleurs reviendrait à de la frime. Assez dur de le suivre tout de même, le film a beau changer d’acteurs, il répète inlassablement son numéro : naturalisme crade secoué par de longs épanchements hystériques et des virgules poétiques éprouvées (vols d’étourneaux sur grisaille, un grand classique). Il faut voir la première transition pour accepter que l’idée du quartet d’acteurs ne restera qu’une intention, ces derniers grattant en choeur les mêmes cordes : pétage de plombs, déprime, lueur d’espoir, explosion.

Un rapprochement s’opère avec C’est beau une ville la nuit, titre phare malgré lui du genre et possible grand frère de 24 mesures. L’idée même de marginalité se trouve atomisée en corps gentillets, et la forme n’est structurée que par une aspiration musicale tripesque. Le finale est un must du genre, convoquant Archie Shepp et son band, thèse placardée à gros clous : le cinéma sera blues ou ne sera pas, et les accidents de la vie, that’s music, man ! Mouais.