Le système Apatow est ainsi fait que l’on redoute perpétuellement son essoufflement. A force de rabâcher ses antiennes, de soliloquer sur le sens des responsabilités et les dilemmes du mâle moderne, le producteur / scénariste / réalisateur (rayez les mentions inutiles) prend le risque de la normalisation. Mais chaque fois, par de subtiles variations, ses feel-good movies se dégagent du rail sur lequel on les croyait lancés. Nouvelle preuve cette semaine avec Frangins malgré eux qui consacre les retrouvailles du carré magique : Will Ferrell + John C. Reilly + Adam McKay (réalisateur) + Judd Apatow (producteur). Après l’intermède Semi-pro, Ferrell et Reilly renouent avec leurs plus fameux pygmalions pour une comédie sur de vieux garçons. Infantiles et égoïstes, aucun de ces deux célibataires n’envisage de grandir, quitter leurs parents, ni même renoncer au stade anal. Mais quand la mère de l’un tombe amoureux du père de l’autre, leur petit cocon vole en éclat : à presque 40 ans, ils vont devoir cohabiter.

Alors qu’il laissait présager d’un 40 ans, toujours puceau au carré, Frangins malgré eux revisite d’avantage le Deux en un des Farrelly (en mode mineur). Plus que rentrer dans le rang, il s’agit ici de rentrer dans le champ, de pardonner à des corps difformes, de composer avec des carcasses trop grandes pour une âme d’ado attardé. Il y a quelque chose de bouleversant à voir ces faux jumeaux, littéralement coincés dans des plans moyens, se débattre avec leurs membres comme ils se disputent leur territoire. Le rapport schizophrénique au physique, motif récurrent du burlesque américain, occupe ici une place centrale. Empêchés, empesés, désarticulés, les corps de Ferrell et Reilly squattent les plans en intrus, n’y trouvent pas plus leur place que dans la collectivité, comme si chaque pièce, chaque meuble leur faisait payer leur immaturité en les confinant. Trop grands pour le cadre, trop petits pour le monde, ce n’est qu’en acceptant l’autre, donc en se regardant en face, que ces deux-là prendront finalement la mesure d’eux-mêmes.

Le film est pareil, plein à ras bord, délibérément resserré autour d’enjeux maousses pour n’en garder que le suc. Un art de la compression qui tranche avec le style buissonnier qui caractérise d’ordinaire les productions Apatow. Aucun regret : à ce petit jeu du dégraissage, McKay perd en amplitude ce qu’il gagne en efficacité. Tout entier tendu vers son climax en forme de répétition générale, Frangins malgré eux est une mécanique de précision qui se déleste des scènes inutiles et file la métaphore avec une rigueur ahurissante. A bien y réfléchir, le moindre ressort semble ici pensé en fonction des derniers instants, de ce concert en plan large où McKay cède enfin du champ à ses héros. Manière pour lui de signifier une maturité naissante et d’offrir aux corps enfin réconciliés une récompense trop longtemps attendue : l’espace.