Il a recommencé. Si l’information selon laquelle un roman de Rupert Everett -dont on n’a pas pu ne pas repérer la tronche de play-boy dans quelques comédies britanniques plus ou moins marquantes (La Folie du roi George, Le Mariage de mon meilleur ami et Shakespeare in Love, notamment)- allait être importé en France avait été accueillie à la dernière rentrée avec un certain a priori, force fût de s’en débarrasser après lecture et double constat : d’une part, ce premier roman (titre : Hello, Darling !) avait été publié chez nos voisins au début des années 90, c’est-à-dire un peu avant les rôles qui lui valurent une renommée internationale (les soupçons relatifs à un quelconque caprice littéraire sans lendemains étant écartés) ; d’autre part, il était non seulement lisible, mais constituait encore l’une de nos lectures les plus drôles et agréables du moment. Roman de la décadence frivole, des eighties rococo et des nuits mondaines à l’ambiance cocaïnée, Hello, Darling !, typique de son époque, dépeignait avec une exubérance jubilatoire un tableau social clinquant mais désabusé qu’on nous a depuis resservi à tous les accommodements imaginables. Nous voici donc face à la seconde livraison de Rupert Everett, texte foutraque, décousu mais souvent hilarant : direction Saint-Tropez, ce « petit univers en soi » où « tout le monde joue. Joue à être d’ici. Mais ne joue pas très bien ».

En 2042, quelque part dans la mégalopole de béton qu’est devenue la Riviera, un ancien fêtard (pseudonyme : Fusées), capturé par un teen-ager armé dont la bande fait la chasse aux transsexuels, lui raconte ses belles années. Retour en 1989 : bienvenue dans le célèbre village jadis célébré par B.B., ses plagistes, ses autochtones authentiques, ses boîtes de nuit, son coiffeur et son petit monde. Entrent en scène un quatuor de folles anglaises, un barman nommé Joseph qui va se mettre à faire de la concurrence au coiffeur, la starlette Véronique Jador (animatrice à la télé, célèbre pour sa paire de seins extraordinaire, sa choucroute sur la tête et, accessoirement, son statut d’égérie de l’extrême-droite française) et -entre autres- des amis citadins venus se mettre au vert et oublier le LSD. Pêche Melba (l’adorable nymphette rencontrée dans le premier roman d’Everett) s’entiche d’un marquis brésilien qu’elle épouse dans la foulée ; Fusées, gavé de petites pilules, essaye d’apprendre le langage des chiens. Car dans le Saint-Tropez de Rupert Everett, les chiens parlent. L’intrigue ? Les événements s’enchaînent à une vitesse telle qu’il est difficile d’en donner la teneur : sur fond de guerre confraternelle entre les deux coiffeurs, on suit les tribulations nocturnes de nos sympathiques dandys camés, les déboires domestiques et esthétiques de Véronique Jador, les révélations étranges des deux clébards et les entourloupes industrielles très provençales des élus locaux.

Moins structuré que son coup d’essai mais tout aussi drôle, ce second roman, publié en 1995 en Angleterre, dégage les mêmes obsessions : grandeur et chute sans avertissement d’une bande de flambeurs irresponsables dans un monde de plaisirs coûteux et de mœurs fatigantes, montagnes de fric et ruines immédiates, tragédies colorées dans un milieu qui fait rêver. En arrière-plan, des considérations écologiques ou apocalyptiques (cet étonnant paysage anticipé d’une Provence goudronnée jusque dans les garrigues et bousillée par la guerre civile) créent l’une des touches graves et dérangées de ce livre anecdotique mais furieusement drôle. Un roman d’été qui nous venge de Peter Mayle.