Un plan.

Le premier de la série.

C’est tout ce qu’il faut à Steven Soderbergh pour imprimer sa patte sur The Knick, dernière née de la chaîne Cinemax (Banshee), dont il réalisera l’intégralité de la première saison. Ce premier plan annonce la couleur, typique du cinéma de Soderbergh et de sa capacité à composer des plans géniaux de densité et désarmants de simplicité. Cet intrigant incipit (un plan subjectif de pieds croisés dans une fumerie d’opium méphistophélique, comme si leur propriétaire possédait les lieux) est le premier pas dans l’univers du Docteur John Thackery (Clive Owen dans un rôle à la mesure de son talent), chirurgien de l’hôpital Knickerbocker et toxicomane averti, bientôt bombardé chef de service par le suicide de son mentor et ami. A peine redescendu de sa transe à l’opium, Thackery s’injecte, entre les orteils, un shoot de coke depuis la banquette de son taxi-cariole vers l’hôpital et la série n’a pas débuté depuis cinq minutes. Le tout nous est proposé sur un rythme trépidant scandé par la composition electro tonitruante, surprenante mais se greffant à merveille à l’univers de la série du prolifique Cliff Martinez (Solaris, Drive, Spring Breakers), ici au sommet de son art. Dès son intro, The Knick affiche sa volonté de proposer une approche résolument post-moderne de son sujet et de ses personnages.

L’autre grande réussite de la série réside dans l’efficacité de son écriture et la façon dont la mise en scène comprend celle-ci pour la nourrir et la magnifier. Afin de présenter ses nombreux personnages, la série fait le choix de l’action et a ainsi toujours quelque chose à nous montrer. C’est une règle de base en écriture, “show don’t tell”, mais elle n’est que rarement utilisée à si bon escient. Que ce soit la chef du conseil d’administration de l’hôpital ou son trésorier en passant par les petites mains que sont les infirmières, la nonne, les ambulanciers aux allures de thugs ou même de nouveaux patients, tous sont définis par leur mouvement narratif et leur lien de co-dépendance mutuel, finement explicité par la caméra de Soderbergh qui passe de l’un à l’autre et nous fait ainsi découvrir le lieu, les personnages et l’univers de la série sans donner l’impression de faire de l’exposition lambda. A une époque où il faut parfois attendre qu’une série ait dépassé le stade des premiers épisodes, voire des premières saisons pour avoir quelque chose de réellement intéressant à raconter (Breaking Bad), c’est une véritable bouffée d’air frais.

L’histoire est, comme pour Halt and Catch Fire, celle de pionniers lancés à l’aventure dans un domaine qui n’en est qu’à ses balbutiements, ici celui de la chirurgie moderne. Les nombreuses scènes d’opérations aussi gore que prenantes, d’un apparent réalisme frontal, douloureuses, crues et très dures, sont les morceaux de bravoure de The Knick qui les utilise afin de rapidement poser ses enjeux. Des gens meurent, empêchons ça, expérimentons et si cette onzième tentative a mené à la mort du patient, tant pis; le douzième sera le bon. Quand le docteur Edwards – de toute évidence brillant, mais noir et victime de préjugés et de racisme dès son arrivée de Paris – découvre que le Docteur Thackery ose utiliser la cocaïne comme anesthésiant local et qu’il teste des techniques inspirées de ses lectures, il est fasciné. Il met son égo de côté et décide de rester pour apprendre de ce cruel et fascinant mentor. Entre la chronique à la Mad Men d’une époque reflet de la nôtre dans son discours sur le système de santé public, l’histoire naissante d’apprentissage mutuel dans la relation qui se tisse entre les deux chirurgiens et le portrait d’une galerie de personnages déjà fascinants dès le premier épisode, The Knick possède tous les instruments pour être l’une des séries de l’année. C’est bien simple, on en vient à regretter que la série ne soit pas une production Netflix qui aurait permis un binge watching pour une fois réellement tentant.