Premier enregistrement en solo pour le discret (faut-il dire secret ?) pianiste américain qui, à 54 ans, abandonne pour neuf thèmes les formations triangulaires (avec Drew Gress et Jochen Reuckert, dernièrement) et se place sous les auspices de la bibliothèque poétique idéale -Virgile, Prévert, Breton ou Dylan Thomas, cités dans le livret de pochette. A deux reprises (Naima, de Coltrane ; le Spartacus love theme d’Alex North, exemplaire du tempérament de Copland) répondent sept compositions originales baignées de cette brume introspective à laquelle, seul, il donne sa pleine dimension. Complexe, presque opaque, leur climat harmonique évoque une architecture abstraite dont les contours ne s’offrent qu’au fil des écoutes et qui semble toujours cacher un nouveau repli ou passage ; sous l’apparente quiétude des méditations et développements de Marc Copland se terre une étrangeté moins anodine qu’on ne l’imagine qu’il aime, derrière des airs polissés, à révéler peu à peu.

L’héritage « impressionniste » français est bien évidemment partout tangible (d’abord dans l’élégance et la subtilité de l’écriture) ; Satie n’est jamais très loin, Evans non plus -un couple tutélaire auquel d’aucuns en préféreraient peut-être un autre, non sans raisons d’ailleurs- Chopin et Paul Bley, par exemple. C’est donc à la marge d’un jazz nourri de racines classiques qu’on situera ces atmosphères volontiers bâties sur des effets de répétition et de fascination (notes rejouées à l’envi comme pour révéler au fur et à mesure la richesse de l’arrière-plan, ostinatos sans fin) ; Marc Copland, qui met à profit la délicatesse de son jeu, s’y entend assurément pour susciter ce que l’on ne peut désigner autrement que comme de la fascination. On peut regretter que rien ne vienne troubler la surface d’un lac musical peut-être un peu trop tranquille, égal en humeur (intériorisée, aussi poétique que le laisse imaginer le titre) comme en couleur (un gris-bleu crépusculaire) ; on peut aussi se prendre au jeu et trouver un intense plaisir à laisser se découvrir les subtiles nuances d’une toile abstraite et finement travaillée, qu’on aurait tort de trop vite décréter monochrome.