Malgré le choix d’un titre aussi laid que sa pochette, le nouvel album de Jean-Louis Murat est une très bonne surprise. Une certaine lassitude pointait le bout de son nez à force de l’entendre décliner à l’envi Neil Young, depuis quelques albums, sans parvenir à enfourcher tout à fait le Cheval Fou de son Maître… Ici, un Murat pas bégueule s’essaie au triolisme : se laissant faire par Fred Jimenez (ex-AS Dragon), ses arrangements et mélodies chahuteuses, Murat renouvelle sa sève pour mieux roucouler aux côtés de la pulpeuse Jennifer Charles (l’Elysian Fields, déjà croisée, de manière plus distante, sur Mustango). Retrouvant une veine assez heureusement commerciale, plus vraiment rencontrée depuis Dolores, Jean-Louis Murat semble ravi de se concentrer sur son rôle de chanteur, se coulant dans l’écrin néo-sixties que lui a confectionné son sparring partner. C’est sans doute une des principales force de cet album en forme de poire : les musiques sortent de la ronde des trois ou quatre notes que Murat fait tourner, habilement mais depuis un bail, pour des suites plus ambitieuses qui viennent s’enrichir de choeurs et de cordes, pleuvant en trombes, comme dans les superproductions de Lee Hazlewood ou John Barry. Au détour de certains titres, on croirait croiser Air ou, moins contre-nature, les paysages d’Arnaud Fleurent Didier (Monsieur craindrait les demoiselles, inspiré de la délicatesse de Proust, ou French kissing, au patriotisme gaillard). L’autre plaisir de cette nouvelle livraison réside dans la partie de ping-pong libertin que se livrent l’Auvergnat et la New-yorkaise : entendre cette voix liquide susurrer « mon pauvre ami vous bandez trop / saurez vous jamais ce qu’est l’amour » à un quinquagénaire au priapisme crâneur rappelle les duos jouissifs des Gainsbourg-Birkin ou, plus sûrement, ceux de Lee Hazlewood et Nancy Sinatra. En effet, la facilité d’étiquetage, sous nos latitudes, conduit souvent à l’homme à tête de chou dès qu’il s’agit de duo sensuel, pourtant, une fois de plus, Murat pointe sa lorgnette sur les Amériques : quand il dialogue avec Jennifer Charles sur Elle était venue de Californie, il est moins question d’une femme ou des femmes que de la musique qui l’a toujours inspiré (« Tout le bonheur est tombé sur moi / En langue étrangère je me souviens de tout »).

Le seul véritable écueil de l’album vient précisément au moment où il se coltine au strict contexte français, via la faible pochade Mashpotétisés qui pourfend pêle-mêle les Yéyés, Johnny et le Twist, ce qui arrache à peine un bâillement à l’auditeur et ancre le propos dans une dimension involontairement retro. On lui pardonne volontiers cette coquetterie tant il se montre en forme sur les autres titres. Depuis Enfonce-moi dans l’édifice, Murat, toujours attelé à son désir de renouveler le discours amoureux, nous présente régulièrement ce qu’il extrait de sa forge : le point d’orgue est atteint cette fois-ci sur Gagner l’aéroport (« Chacun veut que se relance l’hélice / Chacun aime rêver de ça/Chacun veut que les mécanos réagissent / A la moindre alerte bleue / Pour un feu / Des brindilles / Un lapsus / Une ortie / Loin de son quartier Nord / Chacun veut gagner l’aéroport »). Le verso de A Bird on a poire présente un Murat pensif, dans la salle d’embarcation d’un aéroport, l’oeil collé au luminaire Exit, Fred Jimenez patientant à ses côtés et Jennifer Charles regagnant son avion… Souhaitons que cet album soit le point de départ d’un aller au long cours vers une autre série de voyages aussi rafraîchissants.