Il y a quelque chose de malsain chez Kool Keith. Mais lorsqu’il arrive à canaliser ses côtés ambigus, cet artiste multiforme arrive à palper des cosmos musicaux pas forcément évidents à cerner. Connu pour ses multiples portions de rap contact qui ont marqué l’histoire du hip-hop, comme en témoigne les parfaits The Four hoursemen et Critical beatdown (deux classiques, parmi tant d’autres…), effectué au sein de son crew Ultra Magnetic Mc’s, ou encore ses albums solo Sex style, Black Elvis (entres autres)… Sans compter les multiples projets de collaborations ( Dr Octagon, Dr Dooom, Masters of Illusions et des featurings sur des galettes de Dan the Automator, Prodigy et autres Dj Spooky…). On ne compte plus les projets de ce mythe du hip-hop.

Kool Keith est une légende vivante.Et même si certains de ses (trop) nombreux projets sont largués à l’arrache (pour exemple l’album Spankmaster, qui méritait sûrement un meilleur mastering…), Sinister 6000 (aka Doctor Sperm, Matthew ou encore Rhythm X…) continue de larguer des grenades à neutron funky. Kool Keith a bourlingué avec tellement de producteurs talentueux, collaboré avec tant d’artistes intéressants (on citera juste God Father Don, qu’on retrouve ici sur le sublime Lex Lugor…), qu’il est parfois difficile de le suivre… Pourtant, il a toujours réussit à se mettre en avant. A poser son personnage et son flow dans un jus mutant, bouillant, trivial et porno. Un jus qui tient autant à son charisme qu’à ses textes, qui ondulent entre « ego trip » et ballades perçantes, utopies extraterrestres et comédies sexologues.

Le Dj Junkaz Lou, auteur notamment de fameuses mixtapes qui célébraient un paquet de bijoux de Keith, se pose en concepteur de ce projet. Depuis quelques années, ce bourreau de travail parachute avec brio (via sa structure Junkadelic) une série de galettes de choc. Comme en atteste les sorties des palpitants KHM, Lovely lady android edition de Kool Keith, Validation de Marc Live ou encore Diesel truckers de Keith et Kut Masta Kurt. Ce double CD bleu argenté embusque un Kool Keith proche de Black Elvis sur la cover. Le contenu musical de ces deux gâteaux bourrés à craquer est un énorme mix enchaîné et sélectionné en souplesse par Junkaz. Au programme, on redécouvre en intro le fameux One two, one two, présent sur l’album The Four hoursemen. Sur ce titre minimaliste, Keith assure un flow en répétant les syllabes et autres phrasés. Un des premiers pas vers une diction hypnotique, qu’il appliquera ensuite sur bon nombre de ses projets solos… On est aussi très chanceux de pouvoir (re)bouger son cul sur Hey, get off my elevator ou le cultissime Poppa large, des doses bounce qui font (re)bondir les basses et les vocalises nasales du rappeur à la cape violette (qui se souvient de la vidéo de Raise it up, où Keith déchaîné téléphonait sur son cellular blanc en parlant de son univers impénétrable ?). La liste des titres de Junkaz est propre et parfaitement agencée (Extravagant traveler, Space Cadillac, U want freestyle ?, Plastic world, Thug or what…). Les enchaînements des titres sont légers et fins, nappés de scratches qui font gondoler le cerveau. La voix de Kool Keith résonne toujours au bon endroit, comme sur l’excellent Wanna be a star, un passage où les synthés analogiques sont nappés de petites perturbations électroniques du plus bel effet, ou encore Blue flowers et Three thousand, deux titres bourrés de gimmicks hors norme, tirés du célèbre projet Doctor Octagon, datant de l’époque effervescente du duo Keith / Automator. Sans compter les subtiles interventions de Dirty Dezer, qui rajoute des ambiances de synthés dont les liens placent des bruines rafraîchissantes, souvent hypnotiques…

Le roi du pornocore est ici bien entouré, bien encadré. La collaboration avec Junkaz Lou semble symbiotique. Official space tape est un « menu best of allongé » de titres triés sur le volet, qui plairont sans nul doute aux fans purs et durs de Kool Keith. Quant à ceux qui sont friands de basslines recouvertes de flow mutant, de sperme sautillant et de beats enrobés de mélodies changeantes, de samples veloutés et de synthés flottants, et qui ne connaissent pas Doctor Sperm : qu’attendez vous pour découvrir ce souverain du mot juteux ? Avec ce petit bijou, le label Junkadelic marque un nouveau point sur son tableau de chasse déjà bien garni.