C’est dans le titre : les cinq cents pages vagabondes que consacre Yves Berger à l’Amérique sont « amoureuses ». Comprendre : passionnées, excessives, lyriques, déchaînées, attendries, émerveillées, tranchées, manichéennes. Les lecteurs du Berger romancier savent que l’Amérique a toujours été au cœur de son univers, du Sud, son premier livre, à l’explicite Fou d’Amérique, son plus célèbre. Il y a fait des dizaines de voyages, l’a sillonnée dans tous les sens, y connaît des secrets que certains autochtones ne soupçonnent peut-être même pas ; il connaît sa littérature et ses grands films par cœur ; il y situe tous ses rêves, y a trouvé tous les éléments de sa mythologie personnelle, l’aime avec une sincérité qui, parfois, lui fait écrire des pages absolument inouïes. Yves Berger ne peut pas fréquenter quelqu’un qui n’aime pas le film d’Eastwood, Sur la route de Madison, avec ses fameux ponts couverts ; son testament, affirme-t-il, stipule en toutes lettres qu’il exige d’être inhumé avec six exemplaires d’Autant en emporte le vent, dont on n’a sans doute nulle part mieux crié la beauté que dans les pages 335 à 348 de ce Dictionnaire. Il voue aux grands Présidents américains un culte qu’il matérialise sous la forme d’un jeu de cartes, des as (les plus nobles) aux quatre (les « petits » présidents, que l’histoire n’a pas retenu -ou alors pour de mauvaises raisons). Lorsqu’il est à New York, il descend toujours dans le même hôtel et, en s’y rendant, s’arrête systématiquement à l’angle de la 51e rue et de Lexington, à l’endroit exact où Marilyn Monroe passe au-dessus de la bouche d’aération qui fait s’envoler sa jupe dans Sept ans de réflexion, le film de Wilder. « Scène qui a fait le tour du monde, écrit-il. Je pense souvent à l’homme qui, sous la grille, actionnait la soufflerie ». Bref, Yves Berger est le compagnon de route parfait pour une déambulation littéraire dans cinq siècles de rêve américain, voyage que, humour, érudition et folie douce aidant, il rend à tous points de vue passionnant.

De A (Abeilles, Andersonville, Astéroïde) à Y (Yourcenar), il évoque tous les grands mythes de son Amérique rêvée, sautant du coq à l’âne et des vikings à Macadam cow-boy, de New York aux bisons et des road runners aux autocars Greyhound. Ses entrées sont souvent inattendues : pour donner à voir et à sentir l’Amérique (« imaginez, imagez » répète-t-il sans cesse), Berger parle des camions géants à 42 roues qui traversent le pays d’un bout à l’autre ou des centaines de planches dessinées par Jean-Jacques Audubon, son héros favori, le plus grand ornithologue du pays ; il évoque les indiens avec une érudition sans failles et tord le cou à nombre de préjugés qui infestent les esprits des gens mal informés. Telles qu’il les raconte, certaines anecdotes ne s’oublient pas : ces milliards de pigeons (les ectopistes migrateurs) qui habitaient le ciel américain avant le début de leur déclin, jusqu’à parfois le boucher sur des dizaines de kilomètres carrés (un naturaliste du XIXe siècle, Alexandre Wilson, raconte avoir vu une compagnie s’étendre sur un kilomètre et demi de largeur et quatre cents de longueur, soit un défilé permanent d’oiseaux pendant plus de cinq heures) font écrire à Berger quelques unes des pages les plus frappantes de son Dictionnaire. L’amoureux fou de l’Amérique ne pouvait par ailleurs pas rester de marbre face à ceux qui la salissent : à plusieurs reprises, il s’attaque à l’anti-américanisme ambiant avec une fougue et un franc-parler qui aggraveront son cas auprès des « sectateurs d’Attac » et autres « staliniens malades de leurs illusions perdues ». Au moins, le lecteur sait à qui il a affaire. Le livre, raconte-t-il, devait d’ailleurs initialement paraître le 20 mars 2003, premier jour de l’opération américaine en Irak. Résultat : un report de cinq mois, car « le titre de ce livre eût agi sur les a.a. (les antiaméricains) à la façon d’un chiffon rouge ». Cinq mois plus tard, il n’est pas certain qu’ils se soient calmés. Les autres n’attendront pas un jour de plus pour suivre Berger dans un pays qu’il fait aimer comme personne.