Le nom de Charles Frazier ne vous dit peut-être rien, mais vous connaissez Retour à Cold Mountain, à cause du film à succès avec Jude Law et Nicole Kidman. Parue en 1997, cette saga sur fond de guerre de Sécession était son premier livre, couronné d’un succès public invraisemblable et d’un des plus grands prix américains, le National Book Award. Les éditeurs ont immédiatement fait des courbettes à Frazier pour l’attirer dans leur écurie, Random House remportant la mise avec une avance délirante de 8 millions de dollars pour son deuxième roman. Mais le résultat, Treize lunes, en 2006, sera une catastrophe : la moitié des 750 000 exemplaires tirés restent invendus, l’éditeur perd plus de 5 millions de dollars dans l’affaire, la critique démolit le livre avec toute la cruauté possible. Autant dire qu’on attendait Frazier au tournant, histoire de savoir dans quelle boîte le ranger. Verdict : rassurant. Vif, ample, un peu âpre, classique mais pas banal, A l’orée de la nuit est un western contemporain, plus exactement une relecture de motifs classiques du roman et du cinéma américains, avec les figures imposées comme la cow-girl (femme solitaire et farouche), la brute (l’enfoiré sans scrupule) et le brave type (faible mais si gentil).

L’histoire se déroule en Caroline du Nord (terre natale de l’auteur), au début des années 1960. Luce vit seule auprès d’un lac, en rupture avec la société. Un jour, on lui amène deux gosses mutiques et inquiétants : les jumeaux de sa sœur, morte sous les coups de son abruti de compagnon, Bud. Luce n’a pas la fibre maternelle, mais elle fera ce qu’elle pourra. Deux hommes surgissent alors. Le premier, charmant, est le jeune héritier du domaine où elle vit, un homme sensible qui s’intéresse à elle ; le deuxième, moins agréable, n’est autre que ce salaud de Bud, rescapé de la chaise électrique, persuadé qu’elle possède un magot… Intrigue solide pour un roman viril et percutant, qui rappellerait Cormac McCarthy s’il n’y avait pas en même temps chez Frazier une touche de tendresse, voire de romantisme, qui l’empêche de virer du côté obscur. Bien que la dernière phrase résonne comme une méditation sur le temps et la vanité des choses (« Le paysage ne punit ni ne récompense, mais blanchit également tous les os »), il n’y en a pas moins un vrai happy end, après une longue course-poursuite dans la nature. Pas un chef-d’œuvre, peut-être, mais un beau roman classique et bien conduit, ce qui n’est pas rien.

 

Photo : Phil Bray