C’est parfois un peu con les points d’EXP. C’est petit. Dans un RPG japonais classique, passé le niveau 50-60, ça ne sert plus à rien. C’est là pour la beauté du geste. Mais avant cette barrière théorique du niveau 50 où le joueur est trop puissant pour se prendre une volée et pas assez pour frapper à 9 999, c’est vraiment important. La marge de progression, c’est le moyen définitif à disposition du concepteur pour s’assurer que le joueur, ce connard de joueur, ne traversera pas les donjons en coup de vent sans prendre le temps d’en baver et d’admirer le paysage. C’est le garde-fou qui assure au titre une durée de vie minimum. Au-delà de cet aspect mécanique, l’EXP a aussi son rôle à jouer dans la narration, puisqu’elle impose un rythme à notre épopée. On pourrait trouver ça un peu moche dans un jeu d’aventure, qui offre souvent des solutions structurelles élégantes et discrètes pour nous empêcher de tout torcher en dix minutes. Pour le moment, on s’en contentera : Ys : The Ark of Napishtim ne durera pas plus de quinze heures et c’est une putain de bonne nouvelle. Car ce ne sont pas ses belles images 2D ni son univers classique qui font de lui un jeu « old-school ». C’est avant tout une question de rythme.

Il y a bientôt vingt ans, Ys plaçait Adol au coeur d’un village minuscule et l’envoyait explorer mines et temples. A la faveur d’une structure limpide et d’un déroulement franchement direct, l’affaire était bouclée en une dizaine d’heures après trois donjons bien sentis. Aujourd’hui, malgré quelques accidents de parcours, rien n’a changé ou si peu. Ys : The Ark of Napishtim s’impose immédiatement comme un jeu old-school. Parce qu’il intègre ses éléments narratifs sans multiplier les ruptures. On n’y dénombre pas plus de deux villages, que le joueur aura tôt fait d’explorer. Les phases de dialogue y seront très courtes. Et à l’exception de son intro et de sa conclusion, aucune cinématique ne viendra s’immiscer entre le héros et sa quête. Ys ne vous fera pas l’insulte d’un gameplay inutilement complexe. Cinq minutes suffisent pour appréhender son système de combat : il ne changera jamais. Vous ne passerez pas une demi-heure de trop dans une zone à massacrer pour la 150e fois le même blob violet. Autant de parti-pris qui pourraient passer pour des défauts en 2005. Il n’en est rien.

C’est là son secret de Polichinelle : The Ark of Napishtim est volontairement efficace. Il sait ou il va. Ce qu’il fait, il le fait beaucoup mieux que bien d’autres titres « modernes ». On n’y trouvera ni surprises, ni fausses promesses. Tout y est prévisible, de son intrigue rabâchée à son univers convenu où tout vient par trois, des mini-boss aux armes du héros. On y progresse comme dans un demi-sommeil, poussé par la force de l’habitude : on y joue comme on fait du vélo. C’est un jeu à l’honnêteté si désarmante, si humble, qu’il serait malvenu de lui prêter de grandes ambitions.

Le jeu vidéo est complexé. Son obsession de la nouveauté le pousse souvent à tendre vers « autre chose », cette petite étincelle qu’il rêverait feu d’artifice. Zelda : The Minish cap échouait parce qu’il ne prenait pas au sérieux sa seule proposition concrète : le rapport entre l’univers macrocosmique et microcosmique y était honteusement sous-exploité. The Ark of Napishtim ne propose rien, n’annonce aucune révolution. Il se sait tributaire de son histoire et choisit de lui rendre hommage. Tout y est condensé, dégraissé, un squelette d’action-RPG qui disparaîtrait pour peu qu’on l’étire sur 50 heures absurdes. C’est un titre assiégé, qui fait le minimum pour se mettre au goût du jour en se gardant bien de modifier sa formule. Insignifiant. Poussiéreux. Emouvant. The Ark of Napishtim est le polaroïd oublié qui se rappelle à votre mémoire un jour de grand nettoyage.

Deux tours surplombent le port minuscule du continent insulaire. Deux tours inutiles dont les soldats ont depuis longtemps abandonné la garde. Libre au joueur de les gravir pour affronter sa propre solitude. A l’est les vapeurs sulfureuses d’un volcan menaçant ; à l’ouest, la jungle hostile qu’il vient de traverser. Adol est seul au centre du monde, cerné par deux images à la beauté saisissante. Deux images figées.