« Back in Black ». C’est autour de ce mot d’ordre que les multi platines et déjà comblés Rockstars sont allés chercher l’idée de leur nouveau jeu : Manhunt. Niveau Pitch, c’est du basique : vous incarnez James Earl Cash, un condamné à mort, repris de justesse par Starkweather, réalisateur invisible (il vous a muni d’une oreillette) et mégalo. Ce dernier vous rend la liberté à condition de traverser une ville carcérale peuplée de dégénérés sanguinaires, en les éliminant un par un. Histoire de pimenter un peu la chose, vous pouvez exécuter vos adversaires suivant trois degrés de violence qui donneront lieu à des « cuts scenes » où le crade le dispute au gore. Le degré ultime vous assurant, bien sûr, les compliments nourris de votre réalisateur (et accessoirement, une légère nausée).

Ce système de point pour le moins malsain, appelé point de style, constitue LA grande originalité de Manhunt. Pour le reste, ce titre reste ultra référencé. Le principe de chasse à l’homme filmée fait évidemment penser aux films Running man et Le Prix du danger. La musique plombante et synthétisée ainsi que la ville carcérale nous ramènent à ce chaleureux New York 1997. Ce parti pris du clin d’oeil assumé se retrouve jusque dans le gameplay, qui mélange habilement l’infiltration d’obédience « Splinter cellienne » (se cacher dans l’ombre et attaquer dans le dos) et les phases de shoot de l’apprenti Scarface, Tommy Vercetti. Heureusement, ces dernières sont beaucoup plus précises et agréables à jouer que dans les GTA. Mais trêve de name-dropping, car il faut bien reconnaître qu’à l’instar de leur succès planétaire, Grand theft auto, Rockstar a su créer, avec Manhunt, un univers cohérent, aussi glauque et déprimant soit il. Et ce qui tient lieu ici de gageur est aussi, hélas, un talon d’achille. L’entreprise jusqu’au-boutiste, de vouloir réaliser le titre « le plus adulte des jeux vidéos », oublie en chemin que la noirceur onirique d’un Silent Hill n’est supportable que grâce à la complexité de ses personnages et de son histoire. Ici, malgré une intelligence artificiel poussée, nulle résonance d’une quelconque humanité, à peine un leitmotiv, « tué ou être tué ». Et ce n’est pas le dénouement (prévisible) de cette nuit de boucherie qui vous en apprendra plus sur les motivations profondes de ses protagonistes. Comme si, après la riante démonstration technique d’émeute (State of emergency) puis la flamboyance sophistiquée (Vice city), Rockstar voulait prouver ses beaux restes de créateur subversif. Car la proposition principale et très premier degré de Manhunt, bien qu’unique, demeure tout de même l’incarnation d’un bourreau de snuff movies. Et quiconque ayant terminé l’une des 20 missions, constatera la légèreté de l’alibi du « seul contre tous ». Le gibier, ce n’est pas vous, mais eux.

Passé l’effet cathartique de « casser du facho » (entre autres comités d’accueil) et le plaisir d’admirer les effets, contrariants, d’une batte de base-ball sur l’étanchéité de la boîte crânienne, le joueur fatigue. La chair est triste et lasse ; le joueur aussi. Sans autre motif que d’éliminer toutes traces de vie, la besogne rejoint l’ennui. Comme quoi, le « sale boulot » peut être fait le sourire aux lèvres et le coeur vaillant à condition de donner à son exécutant, le joueur, une raison plus élevée que celle de son simple défoulement.