Finalement, la véritable question que l’on devrait se poser, c’est : Final fantasy VIII est-il véritablement ce chef-d’œuvre consolesque auto-annoncé qu’on nous promet depuis des mois ? Ce à quoi nous répondrons, un peu lâchement : si FFVII est un chef-d’œuvre, alors FFVIII est un chef-d’œuvre. Ça n’est peut-être pas aussi simple… FFVII avait marqué et cartonné parce qu’il constituait une véritable avancée pour une série, qui, par ailleurs, n’était ni franchement connue, ni même vraiment reconnue à l’intérieur de nos frontières. Avec ce nouvel opus, la donne n’est plus la même. Plus qu’une suite, plus qu’un remake amélioré, FFVIII est un prolongement dans la continuité de son prédécesseur. Les choses ont changé, certes, mais en douceur. D’où l’état « déceptif » dans lequel les premières minutes de jeu nous plongent : quoi, c’est tout ? Oui. Mais c’est déjà énorme.
Il conviendrait d’ailleurs de rappeler que la prise en mains de FFVII, en son temps, avait elle aussi laissé une impression mitigée. Même faute, même punition : une mise en bouche ultra-didactique un peu laborieuse. Généralement, la phase d’apprentissage d’un jeu se fait dans le feu d’action, petit à petit. Ici, il s’agit surtout d’ingurgiter le manuel par écran interposé. C’est long. Et relativement frustrant. Parce que tout, du système de combat à la gestion de la magie, a été modifié. Malheureusement, le remodelage n’est qu’un lifting de surface. Le système des matérias, petites pierres magiques dont les différentes combinaisons composaient le principal de la gestion de la magie et de l’évolution de vos personnages a été remplacées par un système d' »Associations » nettement plus théorique. Ce qui rend FFVIII plus complexe et plus proche de l’esprit RPG -quitte à faire ricaner nos confrères PC-istes. Malgré tout, l’impression de « déjà-vu » persiste. La trinité Magie-Objets-Invocation est toujours de mise et sur le terrain -pendant les combats-, on ne voit vraiment pas où se situe la différence, exception faite de quelques rares subtilités.

Et pourtant, on ne peut ménager plus longtemps le suspense, FFVIII est bel et bien un indiscutable chef-d’œuvre du genre. Bis repetita pour Squaresoft. Pour une foultitude de raisons dont la principale est qu’on a rarement vu jeu aussi addictif depuis…. depuis FFVII. Impossible de décoller de l’écran, c’est irrésistible, il faut continuer, quitte à se couper de toute vie sociale normalement constituée. Qu’est-ce qui transforme un joueur lambda en junkie ludique ? Un scénario évolutif, qui se révèle par petites touches successives. En dix heures de jeu, on ne sait toujours pas vraiment quel est le véritable enjeu de FFVIII. Dix heures, c’est à peu près le temps qu’il faut pour terminer un jeu comme Resident evil ou Metal gear solid. On part de l’infiniment petit pour aller vers l’infiniment grand. Du quotidien à l’exceptionnel. Le quotidien, justement, c’est un groupe de cadets d’une université militaire, le BGU (Balamb garden university) préparant leurs examens pour devenir SeeDs, une caste particulière de mercenaires. Parmi eux, votre avatar, Squall Leonhart, qui obtient son diplôme haut la main. Au fur et à mesure des différentes missions qu’il effectue, il va se retrouver mêlé à une intrigue épique mêlant guerres, actions de résistance, dictateurs pathétiques et sorcière vicieuse.
On l’aura vite compris, ce qui compte pour Squaresoft, ça n’est pas l’argument en soi, plutôt habituel, mais plutôt la façon de l’amener. Square n’a pas son pareil pour la digression -qui brise fréquemment la routine linéaire dans laquelle FFVIII pourrait parfois s’enliser- et pour mêler la dimension épique d’une aventure grandiloquente à l’étude plus minimaliste de la psychologie de ses personnages. Certes, l’analyse n’a rien de lacanienne, mais c’est un cas assez rare pour être soulevé. On se souvient encore du héros de FFVII, Cloud, personnage ambigu qui reniait son propre passé au point de l’oublier. Dans FFVIII, votre personnage, Squall, est sans doute le héros le plus « connard » (désolé, on n’a pas trouvé d’autre appellation) de l’histoire des jeux vidéos. Égocentrique, nihiliste, pessimiste, désagréable, la seule chose susceptible de le sauver, c’est l’amour naissant qui l’unit progressivement à une mystérieuse princesse, Linoa, point névralgique de ce nouvel opus de la saga FF -il n’y a qu’à regarder le logo du jeu, représentant deux amants enlacés. Nunuche ? Peut-être, un peu, mais il fallait un certain courage à l’éditeur pour utiliser l’amour comme argument de vente d’un jeu prédestiné aux fans de SF et d’heroic-fantasy.
Comme le jeu se décline sur 4 CDs -soit 1 de plus que FFVII, qui promettait déjà plus d’une quarantaine d’heures de jeu-, même le plus accro des joueurs n’est pas près d’en voir la fin. C’est vrai que Square excelle dans l’art de délayer l’action grâce à des phases de dialogues un peu longuettes, de nombreuses missions-bis et des items cachés à retrouver, mais il faut admettre que rares sont les jeux qui promettent une telle durée de vie.

Le troisième point fort du jeu, c’est indéniablement le graphisme. FFVIII serait-il le plus beau jeu sur PlayStation ? Pas loin. C’est d’ailleurs une des seules modifications notables à l’œil nu par rapport à l’opus précédent. FFVII mêlait ambiance cyberpunk et fantasy nippone à la Zelda avec beaucoup de talent mais aussi avec une inévitable propension à la dispersion visuelle. Les rumeurs annonçaient un FFVIII, plus cohérent, plus adulte et plus cyberpunk. C’est presque vrai. Sauf qu’à défaut de l’atmosphère SF apocalyptique promise, on se retrouve avec une ambiance XIXe rétro-futuriste, style Jules Verne revu et corrigé par les Japonais. Les décors sont somptueux, alliant camaïeux de gris colorés et couleurs vives, et dégagent une agréable impression de quiétude. Plus de cohérence aussi au niveau de la représentation des personnages. FFVII alternait représentations dans le plus pur style Super-Déformé (SD) cher aux mangas comiques pour les phases d’aventure et représentations anatomiquement plus correctes pour les combats. Désormais, vos personnages gardent la même stature, plus réaliste, tout au long du jeu, en 3D temps réel et remarquablement détaillée. On y perd peut-être un peu au niveau de la personnalité, tous ces novices-mercenaires se ressemblent plus ou moins, mais on y gagne en sérieux et en continuité.
On ne peut pas décemment clore ce chapitre sur le design sans mentionner les séquences cinématiques de transition. Tout simplement époustouflantes. L’intro qui présente un duel à l’épée entre Squall et son frère-ennemi Seifer, est extraordinaire, aussi bien d’un point de vue technique qu’au niveau de la mise en scène. On ne fera pas non plus l’impasse sur la scène de la rencontre des 2 futurs amants au cours d’un bal universitaire digne de Visconti, fastueux, émouvant et comique. Du grand art, mais on n’en attendait pas moins de Square.

Certains joueurs pointilleux nous reprocheront sans doute d’être un peu trop indulgent. Evidemment, FFVIII n’est pas sans défaut. Pour faire bref, on dira que ce sont les mêmes que ceux de FFVII, ce qui n’excuse en rien les concepteurs du jeu, bien au contraire. Il y a toujours ce système de combats aléatoires, franchement agaçant lorsque vous cherchez votre chemin et que vous êtes assailli toutes les 30 secondes de manière totalement hasardeuse par des monstres vindicatifs. Il y a les séquences d’invocations pendant les combats, très belles avec tout plein d’effets spéciaux et de lumières multicolores, mais qui deviennent insupportables après plusieurs visions successives, d’autant qu’on ne peut vraiment pas y couper. Il y a, bien entendu, l’habituel parent pauvre de la série, l’environnement sonore. Les musiques sont jolies -quoiqu’un peu répétitives- mais l’orchestration laisse un peu à désirer, dans le genre bontempi-midi. Manque de compétence ? Sûrement pas, à l’écoute de la musique de la scène d’intro, véritable morceau d’opéra, lyrique et baroque. Sans doute un manque de place mémoire. Quant aux bruitages, ils sont horripilants à force d’être aussi sommaires ! Les dialogues sont purement textuels, vos personnages étant littéralement sans voix, ce qui est assez difficile à digérer, même au bout de plusieurs heures de jeu.

FVIII fera donc sans doute moins de bruit que FFVII en son temps. Même structure, mêmes défauts, l’effet de surprise s’est un peu émoussé. Pourtant, il y a ce charme indéniable, que les concepteurs ont su garder, ce qui n’était pas forcément évident, une intrigue riche et complexe, et une durée de vie incroyable. Indéniablement, FFVII était un chef-d’œuvre. FFVIII en est le digne successeur.